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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Michel Pichette, “Nous sommes des téléspectateurs” (1991)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel Pichette, “Nous sommes des téléspectateurs”. Article, Les Familles et la télévision, Groupe Domotique, Montréal, 1991. [Autorisation accordée par l'auteur le 2 mai 2006 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

"S'il n'y avait pas de télévision, on s'ennuierait" répondait à l'animatrice d'un récent gala télévisuel, un téléspectateur ému mis en spectacle devant les caméras. "La télévision, c'est la vie" et "c'est tout un monde à regarder" proclamaient, il n'y a pas si longtemps, certains télédiffuseurs dans leurs slogans de début de saison. "Gardienne non requise" si vous vous abonnez au câble, laissait entendre récemment un câblodistributeur sur des panonceaux publicitaires. 

Nous sommes tous des téléspectateurs et nous vivons tous sous le règne de l'audiovisuel et de la télévision, mais nous vivons encore dans la non-reconnaissance de cette réalité. Après le travail et le sommeil, le visionnement et l'écoute de la télévision sont aujourd'hui, au Québec, l'activité qui occupe la majeure partie de nos temps de loisirs. Nous lui consacrons en moyenne 23.5 heures par semaine [1]. Depuis les années l970, l'activité de téléspectateur a pris le relais de nos autres activités de loisirs: nous consacrons maintenant moins de temps aux sorties et aux rencontres sociales à l'extérieur du foyer tout comme à l'écoute de la radio, à la lecture et au cinéma en salle (80% de notre temps de loisir se passe aujourd'hui à la maison). Dans le cas des enfants, nous le savons assez, le temps qu'ils consacrent à la télévision totalisera plus d'heures que celles qu'ils auront consacrées à l'école et à leurs travaux académiques au terme de leurs études secondaires. Mais si nous sommes tous des téléspectateurs, ce n'est pas seulement parce que nous passons plusieurs heures devant l'écran du téléviseur. Nous sommes tous des téléspectateurs parce que, fondamentalement, nous regardons tous la télévision et, surtout, parce que nous vivons aujourd'hui dans et avec la présence de la télévision. Être téléspectateur, c'est devenu un mode de vie contemporain qui ne peut pas être limité aux seules données quantitatives du temps d'écoute avec lesquelles jonglent les télédiffuseurs. 

Nous n'échappons pas à la télévision; elle fait corps avec notre vie. Elle fait partie de nos rituels quotidiens Nous vivons sans nous en rendre compte, avec le réflexe qui nous fait allumer le téléviseur avec la même spontanéité et le même empressement que nous accordons à la plupart de nos gestes familiers. Pour plusieurs d'entre nous, vivre sans télévision, c'est comme se priver du café du matin ou passer une journée sans soleil. Une journée sans télévision, c'est une journée où l'on souffre d'une absence. Manquer de télévision c'est comme se mettre en retrait du monde et cesser d'être à son écoute; c'est vivre sans communication. Plus encore, c'est perdre le sentiment d'appartenance et de participation à la vie de la société; c'est cesser d'être relié. Nous vivons avec un besoin intime de télévision. C'est aussi par et en fonction de la communication télévisuelle que sont modelées et véhiculées aujourd'hui l'essentiel des informations nécessaires au fonctionnement et au développement de la vie économique, politique et culturelle de nos sociétés. La télévision est une réalité de culture dans le monde contemporain. 

Cela fait près de quarante ans que la télévision s'est installée progressivement dans nos vies mais nous vivons avec elle à la manière d'un vieux couple usé par l'habitude. La télévision est là, omniprésente, mais d'une certaine manière nous la regardons sans la voir. Nous la laissons nous parler et nous montrer plein de choses parmi lesquelles nous essayons de choisir. La télévision s'est imposée peu à peu à nous comme une grande bulle à l'intérieur de laquelle nous nous réfugions, solitaires, guidés par le mouvement de baguette de ses artisans qui y font l'animation de rythmes, d'images et de sons qui coulent en nous sans que nous ayons l'impression de pouvoir y faire quelque chose. Les sons et les images de la télévision nous traversent, elles pénètrent au plus profond de nous, au-delà de notre conscience, à des niveaux très profonds, comme s'il s'agissait de rêves. 

Nous vivons encore avec l'idée que la télévision est d'abord un divertissement mais nous ne cessons pas, par ailleurs, de soupçonner qu'à plusieurs égards elle compte presque autant que la famille, l'école et les institutions de santé dans la qualité de nos vies personnelles et sociales. La télévision nous parle beaucoup mais nous ne pouvons pas lui parler et, plus grave encore, nous ne savons pas encore comment en parler, voire même comment en profiter. La télévision reste pour nous insaisissable, mystérieuse et intouchable. Mais aussi, nous nous retrouvons dans la situation d'être pour nous-mêmes un insaisissable téléspectateur. 

La télévision est une affaire trop sérieuse pour qu'on ne commence pas à rechercher les moyens de s'en préoccuper autrement qu'en consultant un guide horaire. Oui, la télévision est une affaire qui concerne la famille, comme l'école et toute la société. C'est à partir du point de vue de celles et de ceux qui en font tous les jours la consommation, enfants et adultes, qu'il faut commencer à la regarder et à trouver des voies par lesquelles nous commencerons à savoir un peu mieux comment en tirer profit et en faire une source d'accompagnement stimulante dans nos recherches de qualité de vie personnelle, familiale et sociale. 

Ce travail passe par le développement d'un point de vue qui traite de la télévision à partir du téléspectateur comme personne, comme citoyen et comme consommateur plutôt qu'à partir du point de vue auquel nous sommes habitués: celui des télédiffuseurs et de leurs artisans qui ne nous parlent de la télévision qu'en fonction de leurs offres de programmations de la magie qui les entourent et du temps que nous lui consacrons. 

Ce travail encore à faire et à développer passe par la connaissance et l'appropriation de l'histoire de la télévision à la lumière de l'expérience propre qu'ont développé les téléspectateurs dans la culture et la société actuelle des médias. Ce travail passe par une réflexion à entreprendre, par des actions individuelles et collectives à poser et par une prise en compte de l'importance sociale de la télévision par les institutions responsables des communications, de la culture, de la famille, de l'éducation et de la recherche scientifique. Il passe enfin par une redéfinition de la responsabilité publique des propriétaires, des gestionnaires et des artisans de la télévision. Tout cela peut sembler bien élémentaire; mais nous sommes pourtant ici encore à l'heure du commencement. Nous sommes tous des téléspectateurs qui ont à faire l'apprentissage de notre histoire, à nous l'approprier et à la faire reconnaître pour enfin exister comme personne, comme citoyen et comme consommateur actifs et critiques dans la société contemporaine de l'information et des communications médiatisées.


[1] En Grande-Bretagne, un sondage publié en avril 91 par un magazine à fort tirage, le Radio Times, révélait que les britanniques passaient, quant à eux, plus de la moitié de leur temps devant le téléviseur allumé. Ce sondage révélait que la télévision constituait pratiquement le seul divertissement de quelque cinq millions de personnes en Grande-Bretagne. Après l'argent et les travaux ménagers, le choix de l'émission de télé est devenu le sujet de dispute familiale le plus courant. Selon le sondage, neuf millions de personnes admettent se disputer parfois à ce sujet. Les prises de bec semblent plus sérieuses dans les familles qui ont des enfants ou qui possèdent un magnétoscope. Source: Le Devoir, mardi, 2 avril 1991, p. 6.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 23 décembre 2006 15:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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