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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Québec occupé (1971)
Présentation de l'oeuvre


Jean-Marc Piotte, Québec occupé. Montréal: Parti Pris, 1971. Collection: Aspects, no 9, 249 pages. [Autorisation accordée par M. Piotte le 27 mai 2004 de diffuser cette oeuvre.] Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, professeure retraitée de l'enseignement à la Polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, bénévole.

Présentation de l'oeuvre

par Jean-Marc Piotte, UQAM.

La crise québécoise, amorcée par les enlèvements du FLQ et approfondie par la répression gouvernementale, dévoile le rapport des forces politiques en présence ainsi que les contradictions économiques, sociales, culturelles et politiques qui sont à la base de cette crise. À ce niveau, un état de crise est toujours hautement significatif car il rend évident ce qui est ordinairement masqué par le fonctionnement « normal » des différentes institutions économiques, politiques et idéologiques.

Dans le silence que cherchent à imposer les classes dominantes et parmi les explications partielles qui sont données de la crise, il nous a semblé important d'intervenir le plus rapidement possible afin de tenter d'éclaircir les fondements de la crise et les conclusions qui s'en dégagent. Il sera toujours possible, plus tard, d'approfondir nos analyses, de les rendre plus rigoureuses théoriquement et plus documentées au niveau des faits.

Il serait trompeur d'affirmer que les auteurs des différents textes que vous allez lire partagent tous la même ligne politique. Mais il me semble possible de relier les différents articles par un même fil conducteur.

La première question à poser est la suivante : pourquoi les gouvernements ont-ils eu recours à la loi des mesures de guerre et à l'occupation armée du Québec ? Pour démanteler le FLQ ? Cette justification des gouvernements ne peut marquer la disproportion criante entre l'ampleur des mesures répressives et la trentaine d'effelquistes à coffrer. D'ailleurs, le fait, qu'après plus d'un mois, ces mesures n'aient pas permis de démanteler le FLQ prouve, par l'absurde, que le véritable objectif des gouvernements n'était pas le démantèlement de cette organisation. Il faut chercher ailleurs.

Comme le montre B.R. dans son article, les organes d'information ont été, du 5 au 16 octobre, pris à leur propre piège. En temps normal, les media présentent la société comme la meilleure possible ; il y a bien des petits problèmes, mais ils sont isolés et présentés comme si les gouvernements oeuvraient de toutes leurs forces pour les solutionner : la mécanique sociale serait comme une auto dont la carrosserie et le moteur sont en excellente condition, mais qui a quelques défauts facilement corrigibles par de bons mécaniciens. Mais la crise a neutralisé momentanément cette fonction idéologique des media. Que les gouvernements aient manifesté, même faussement, une volonté de négocier, consistait à reconnaître le FLQ, donc l’existence des problèmes que celui-ci soulevait. La publication du manifeste, auquel s'est identifié la majorité des Québécois, montrait précisément ce que cherchent à cacher les media : l’entrelacement de tous les problèmes, qu'ils soient économiques, sociaux ou politiques. L'un des objectifs de la répression gouvernementale est d'arrêter cette politisation des Québécois et d'obliger les media à revenir à leur fonction idéologique première, qui est de diffuser l'idéologie des classes dominantes.

Mais face à cette politisation, les media ne pouvaient pas revenir seulement au statut quo ante. Dans les media, comme dans tous les appareils idéologiques de la classe dominante, y compris les maisons d'enseignement, un fort courant cherche à supprimer toute possibilité de contestation de l'ordre dominant. C'est le début d'un maccarthysme dont Jean-Paul Brodeur analyse les mécanismes logiques.

Pourtant les classes dominantes ne limitent pas leur offensive aux seuls media. Il existe depuis quelques années au Québec des groupes organisés qui contestent à des degrés divers le pouvoir des classes dominantes. L'un des objectifs de la répression gouvernementale ne serait-il pas d'écraser ces groupements ?

Examinons en premier lieu l'organisation qui centre ses luttes sur la question nationale, le PQ. Plusieurs dirigeants politiques ont tenté d'assimiler le PQ au FLQ. N’ont-ils pas de cette façon indiqué un des objectifs de la répression gouvernementale : briser le mouvement indépendantiste animé par le PQ ?

À première vue, rien dans le programme de ce parti ne paraît mettre en cause les intérêts du capital anglo-ontarien. La Solution de René Lévesque dit bien que le PQ préconise une association économique « profitable aux deux partis ».

Toutefois, en réalité, le réaménagement économique proposé par le PQ met en cause non seulement les intérêts à moyen terme du capitalisme anglo-canadien (vg. « jour après jour »), mais aussi ses intérêts à court terme. On sait que l'association économique du Québec avec l’Ontario telle que pratiquée aujourd'hui coûte aux Québécois deux milliards par année (vg. le livre de Rodrigue Tremblay). Envisageons la possibilité que le PQ accepte qu'une telle association maintienne des avantages plus grands pour le capital anglo-ontarien que pour le capital québécois (le Québec continuerait de nourrir le capital ontarien à raison non plus de deux milliards, mais par exemple d'un milliard par année). Même dans ce cas, le capitalisme anglo-ontarien continuerait à s'opposer à la souveraineté du Québec et emploierait tous les moyens pour empêcher la réduction des revenus annuels que nous lui apportons : le capitalisme anglo-canadien, dominé et écrasé par l'impérialisme américain, ne peut se permettre de perdre même une partie des revenus que lui procure sa domination sur le Québec (vg. l'article de Michel Pichette).

Il existe d'autres organisations politiques qui, même si elles sont minuscules par rapport au PQ, sont d'autant plus dangereuses pour le pouvoir qu'elles relient concrètement la lutte de libération nationale à la lutte de libération des travailleurs. Il faut bien dire ici que ce sont majoritairement ces organisations qui ont été visées par les arrestations et les perquisitions. Et même les éléments péquistes arrêtés en province étaient constitués de ceux qui, en plus de travailler pour l'organisation électorale du PQ, militaient dans les organismes extra-parlementaires du type comités de citoyens ou organisations étudiantes. Ajoutons à ce dossier le terrorisme verbal employé contre le FRAP par les Marchand et les Drapeau (vg. l'article d’Emilio, de Ipola) et il deviendra clair que les classes dominantes reconnaissent ceux qui sont ses plus dangereux ennemis.

L'administration municipale de Montréal est reconnue pour ses tendances fascisantes, beaucoup plus marquées encore que celles des gouvernements de Québec et d'Ottawa. Pourquoi cette fascisation ? On ne peut l'expliquer par la personnalité de Drapeau. Comme le montrent Hélène Davis et Louis Maheu, Montréal est le lieu où se manifestent de la façon la plus évidente la domination économique et la domination ethnique de la bourgeoisie anglo-américaine dans un cadre urbain qui multiplie les contradictions du capitalisme. L'administration municipale, étant comme les autres paliers gouvernementaux, incapable de solutionner les symptômes de cette domination (par exemple, la crise du logement), en est réduite à employer la répression contre tous les groupements qui cherchent à renverser cette domination.

La répression qui s'installe au Québec n’est pas un phénomène unique dans le monde capitaliste occidental. Aux États-Unis et en France, notamment, les classes dominantes utilisent de plus en plus la répression contre les organisations qui cherchent à remettre en question leur domination. Le système capitaliste est en crise au niveau mondial : il n’est plus capable de masquer les symptômes de sa domination, que ces symptômes soient le chômage ou l'écart grandissant entre les pôles de richesse et les pôles de pauvreté. La fascisation du régime au Québec s'inscrit donc, dans un cadre mondial où les classes dominantes s'orientent de plus en plus vers la dictature policière et militaire afin de préserver leur domination. C’est dans cette perspective que Roch Denis critique le terrorisme dit FLQ : la lutte contre le capitalisme passe par l'organisation politique des travailleurs. Les actions isolées donnent des justifications trop faciles aux classes dominantes pour fasciser le régime.

Quelles conclusions tirer de cette analyse ?

Premièrement, la répression – malgré des périodes d'accalmie ou de repli – ira en se renforçant au Québec au fur et à mesure que les masses se politiseront et s’organiseront.

Deuxièmement, la solution à la fascisation du régime n'est pas le libéralisme, mais le socialisme contrôlé par les travailleurs. L'itinéraire politique des Drapeau, Marchand et Trudeau montre bien que les classes dominantes ne sont « libérales » que lorsque leurs intérêts ne sont pas contestés. Lorsque la contestation s'amorce, ces classes s’orientent rapidement vers l'une ou l'autre des formes du fascisme.

Troisièmement, la crise a confirmé l'isolement et la faiblesse des groupes de « gauche » au Québec. Quel type d'organisation politique faut-il pour rompre cet isolement et contrer l'offensive de répression qui s’intensifiera ? Par où faut-il commencer ? Peut-être par la formation de militants sérieux, capables d'analyses politiques et d'actions politiques conséquentes ? ...

Quatrièmement, la crise a contribué à balayer la confusion des positions qui se réclamaient de la « gauche » jusqu'à maintenant. La répression entraîne une démarcation nette entre ceux qui font passer d'abord leurs intérêts particuliers petits-bourgeois et les militants qui entendent assumer dans la pratique les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière.

J.-M. P.



Retour au livre de l'auteur: Jean-Marc Piotte, sociologue, retraité de l'enseignement, UQAM. Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 12 septembre 2004 08:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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