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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Luc Racine, “Le R.I.N., le néo-capitalisme et le (néo-)colonialisme au Québec.” Un article publié dans la revue Parti pris, , vol. 4, no 1, septembre-octobre 1966, pp. 88-94. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[88]

Luc Racine

Sociologue, Département de sociologie, Université de Montréal

Le R.I.N., le néo-capitalisme
et le (néo-)colonialisme au Québec
.”


Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 4, no 1, septembre-octobre 1966, pp. 88-94.



"Je crois que le capitalisme disparaîtra ; mais il s'agit de savoir au profit de quoi." (Pierre Vadeboncoeur, L'autorité du peuple, p. 9.)



Cette année, dans cette chronique, il sera principalement question de commentaires en marge de certains essais - portant sur des problèmes économiques, politiques et culturels - publiés au Québec et ailleurs. Il ne faut toutefois pas s'attendre à un compte rendu, à un résumé commode qui dispenserait de la lecture des ouvrages traités. Plus qu'un substitut facile à la lecture, les brèves et incomplètes analyses publiées ici veulent être une incitation à lire. L'importance d'une lecture attentive d'ouvrages de caractère à la fois théorique et pratique, comme c'est le cas d'un essai, ne saurait être surestimée à une époque où la confusion et l'incohérence de pensée enlèvent de plus en plus aux mouvements socialistes tout sens de l'organisation, de la stratégie et de la tactique politiques véritables. L'incohérence théorique de la pensée socialiste d'aujourd'hui a de toute évidence des causes profondes dont il est urgent d'entreprendre l'analyse. Cela implique un travail de longue haleine dont les résultats permettront sans aucun doute de remédier au vide idéologique, fait de compromissions pratiques et de concepts fumeux, qui paralyse le socialisme dans les sociétés industrielles avancées du monde occidental. Un tel travail, qui se fait chaque jour plus pressant, ne saurait être entrepris sérieusement dans le seul cadre d'une revue. Nous pouvons tout au plus nous contenter de quelques remarques dont le caractère général et hâtif n'échappera à personne.

Pour bien comprendre l'inconsistance de pensée dans laquelle ont versé les mouvements socialistes d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord à la suite de la deuxième guerre mondiale, il est indispensable de se souvenir du genre d'action politique que ces mouvements menaient à l'intérieur des sociétés concernés, et ensuite de dégager les implications d'une telle action au niveau théorique. Or on sait que cette action s'est toujours inscrite à l'intérieur [89] des cadres politiques de la société capitaliste : système de partis et régime parlementaire. On a cru pouvoir renverser ce système tout en y subordonnant l'activité politique des mouvements socialistes. Cette tendance réformiste, qui eut son équivalent dans le domaine syndical, a fait des partis socialistes et des syndicats les complices, au niveau politico-économique, de l'organisation capitaliste de la société. On a cru que cette organisation n'avait qu'à être réformée sur des points particuliers pour devenir acceptable, pour se transformer, sans heurt et sans révolution, en un régime socialiste. D'où une série de compromis et de démissions qui affaiblissent aujourd'hui considérablement la possibilité de réalisation effective du socialisme au sein des sociétés industrielles avancées.

Après la dernière guerre s'est constituée une économie néo-capitaliste, basée sur la propriété des moyens de production et le contrôle des centres de décisions politico-économique par des monopoles hautement centralisés, transformation interne du capitalisme qui a fortement contribué à rendre désuets les anciens modes d'action et de pensée du socialisme d'avant-guerre. Si le socialisme avait été moins pusillanime et plus cohérent pour ce qui est des moyens à prendre dans le but d'une abolition radicale de l'organisation capitaliste de la société, nous n'en serions peut-être pas aujourd'hui parvenu à un tel état de confusion et d'impuissance devant les risques d'un conflit nucléaire que pourraient facilement produire les lacunes du néo-capitalisme lui-même aux problèmes posés par les résultats du progrès technique : automation de plus en plus poussée dans le domaine de la production et de la distribution des biens et aussi des services, société de consommation, culture de masse et apparition d'une civilisation de l'abondance et des loisirs devant un Tiers-Monde affamé.

Mais Il est inutile d'accuser le socialisme d'hier d'une confusion et d'une incertitude qui affligent encore le socialisme d'aujourd'hui. Il faut plutôt trouver les moyens pour parer à un enlisement plus désastreux encore dans l'incohérence théorique et l'opportunisme idéologique des mouvements socialistes, qui sont directement liées à une faiblesse d'organisation sur le plan politique, cette dernière étant ultimement due à une incompréhension véritable du fonctionnement réel des sociétés dans lesquelles s'insèrent les mouvements socialistes. Ainsi, afin d'échapper à L'inconsistance théorique et à la faiblesse organisationnelle qui furent sans doute les deux principales causes de l'échec relatif des mouvements socialistes dans les sociétés industrielles avancées, il faut que soit entreprise au plus tôt une analyse systématique du système néo-capitaliste régissant la vie tant culturelle qu'économique et politique de ces sociétés. Pour que des hommes comme Lénine puissent faire la révolution en Russie, il fallait au préalable que d'autres hommes comme Marx aient démontré les rouages du fonctionnement de l'économie libre-échangiste et concurrentielle de l'époque ; pour que puisse être instauré un régime socialiste dans les sociétés industrielles d'aujourd'hui, il faut que soit faite au préalable une analyse théorique et critique de l'économie sous contrôle de monopoles qui caractérise le néo-capitalisme. Il est vain de croire qu'une action politique révolutionnaire cohérente, basée sur une organisation et une tactique efficaces, puisse découler d'une pensée théorique fumeuse, faite de concepts embrouillés ou, plus encore, réifiés. Cela ne veut évidemment pas dire que la pensée prime l'action ou que la conscience prime l'être, mais plutôt que la théorie et la pratique sont liées dialectiquement de façon indissoluble, et qu'il n'est pas plus possible de fonder une action efficace sur une pensée confuse que d'élaborer une théorie cohérente à partir d'une activité tâtonnante. L'homme est tout autant comportement et agir que conscience [90] et signification, en l'aliène dès que l'on hypostasie l'un de ces deux aspects de sa réalité.

Ceci dit, il est clair que, eu désignant l'inconsistance théorique et le manque d'analyse lucide de la réalité socio-économique et culturelle comme étant la cause de l'échec relatif des mouvements socialistes dans les sociétés industrielles avancées depuis la fin de la dernière guerre, nous ne voulons pas laisser sous-entendre que la faiblesse du socialisme n'a été qu'idéologique. Bien au contraire, les lacunes idéologiques se sont historiquement accrues à mesure que, au niveau de l'organisation et de la stratégie politiques, les partis socialistes et les syndicats se sont faits les valets inconscients du régime capitaliste. Il ressort de cela que seule une activité politique radicale et intransigeante des groupes socialistes peut affermir la pensée théorique, et vice versa. L'analyse systématique des principaux niveaux de fonctionnement de la société néo-capitaliste est le pendant direct d'une action politique rénovée du mouvement socialiste au sein des sociétés industrielles aujourd'hui. La stratégie politique et la critique théorique s'élaborent de concert, et il serait absurde de croire qu'il est possible de se dispenser de l'une ou de l'autre.

Au Québec, en particulier, la formation d'un parti socialiste fortement organisé, unifié sur le plan de la tactique politique à élaborer et à suivre, est intimement liée à l'analyse de notre situation de colonisés en termes non seulement culturels mais aussi socio-économiques et historiques.

Lorsqu'il est question de colonialisme, on pense surtout à la soumission culturelle d'une nation à une autre. La culture, c'est-à-dire la pensée, la langue, les coutumes et les traditions, la psychologie et les oeuvres de la nation dominée, est avilie et comme stérilisée par la nation dominante. Ces 'brimades constantes, cette humiliation et cette dégradation, poussent à un nationalisme exacerbé et inefficace une partie de la nation dominée. Puis, graduellement, cette fraction du peuple colonisé, fraction qui coïncide souvent avec une élite sur les plans culturel et économique, finit par se rendre compte que l'outil majeur de la domination culturelle est la domination économique, le contrôle politico-économique de la vie de la nation colonisée par la nation colonisatrice. Cette élite se sert alors du nationalisme, phénomène idéologique relevant des superstructures, pour trouver l'appui de la population dans le sens d'une reconquête économique dont elle bénéficierait plus, en tant que classe dirigeante, que ne le lui permet son actuel rôle de valet des intérêts économiques de la nation dominante. Utilisant l'ancien nationalisme à des fins politiques, elle le transforme profondément et lui donne un contenu progressiste, contrastant avec son ancienne teinte réactionnaire, contenu qui peut même devenir révolutionnaire au cas où, toujours sous la conduite de la minorité dont nous avons parlé, la nation dominée doit recourir à l'action politique plus ou moins violente pour se libérer de la tutelle socio-économique de la nation.. colonisatrice.

Cette brève analyse permet de se rendre compte de deux choses importantes pour ce qui a trait à la compréhension de la situation du Québec : (1) le nationalisme, progressiste ou réactionnaire, est un phénomène culturel tendant à évoluer vers l'idéologie politique ; (2) la décolonisation, c'est-à-dire la prise de l'autonomie culturelle et socio-économique, par l'action politique, d'un peuple anciennement dominé, est une lutte pouvant être menée aussi bien par un groupe socialiste s'appuyant sur les travailleurs et les paysans que par un groupe capitaliste autochtone s'appuyant sur la petite bourgeoisie et les collets blancs. Ces deux groupes intéressés à la libération nationale se serviront du nationalisme et de la théorie de la décolonisation [91] comme instrument idéologique efficace de l'action politique.

Si la libération nationale se fait sous la direction des intérêts capitalistes québécois, il tendra à se former au Québec une société néo-capitaliste, avec forte intervention de l'État et concentrations des décisions politico-économiques aux mains de monopoles. Si la prise d'indépendance art dirigée par un parti socialiste, il tendra plutôt à se constituer une société basée sur l'autogestion avec, pour l'État, un rôle de coordination des activités socio-économiques et culturelles.

*
*   *

Si maintenant, à l'aide de ces remarques préliminaires, on examine l'ouvrage d'André d'Allemagne sur Le colonialisme au Québec *, il nous sera possible de discerner dans quel sens l'idéologie du RIN s'oriente, en tant qu'idéologie d'un parti politique organisé sur le plan de la stratégie électorale : socialisme ou néo-capitalisme au Québec par la voie de l'indépendance politique.

Tout d'abord, disons que nous ne prenons pas l'ouvrage de d'Allemagne comme étant représentatif de toute l'idéologie du RIN. Pour connaître cette dernière, sa fluidité et ses tendances plus ou moins divergentes, il faut évidemment tenir compte du programme du parti, des discours et déclarations de certains de ses membres les plus représentatifs (Chaput, Guité, Bourgault, Pouliot, etc.). Cependant, nous ne croyons pas que les conclusions tirées de la lecture du livre de d'Allemagne puissent être sérieusement contredites ou infirmées par des positions incluses dans le programme du RIN ou dans les déclarations et discours de ses membres. Ce qui revient d'ailleurs tout simplement à constater que, malgré son ambiguïté, l'idéologie du parti présente tout de même une certaine cohérence et n'est pas contradictoire avec elle-même.

L'ambiguïté dont nous venons de parler, qui est très révélatrice de l'idéologie du RIN, se retrouve d'ailleurs tout au long du livre de d'Allemagne. Et cela sur deux points essentiels : (1) le néo-nationalisme n'y est pas situé par rapport à l'ancien nationalisme clérico-bourgeois ; (2) l'analyse de la colonisation, ce "génocide qui n'en finit plus", ne débouche pas sur une stratégie politique précise, impliquant la mise en relief des forces en présence et le dégagement de celles sur lesquelles le RIN entend se fonder pour faire l'indépendance. Cette séparation qui existe entre l'analyse nationaliste de la colonisation d'une part, la critique de l'ancien nationalisme et la stratégie à élaborer pour faire l'indépendance d'autre part (la première étant seule représentée au détriment des deux autres), est la principale caractéristique du nationalisme décolonisateur par opposition au socialisme décolonisateur, qui se doit d'insister sur sa différence par rapport au nationalisme bourgeois et sur les groupes, ouvriers et paysans principalement, à partir desquels ils compte élaborer sa stratégie dans le but de faire l'indépendance politique, elle-même moyen de réalisation d'une société socialiste fondée sur l'autogestion.

Reprenons maintenant point par point les divers sujets dont traite l'ouvrage de d'Allemagne : (a) l'essence du colonialisme, le colonisé et le colonialiste ("Introduction", pp. 9-14, "Le colonisé", pp. 91-124, "Colonisateurs et colonialistes", pp. 125-146) ; (b) l'histoire du colonialisme au Québec et la Confédération ("Historique du colonialisme au Québec", pp. 15-28) ; (c) l'analyse nationaliste de la colonisation ("Le colonialisme politique", pp. 29-40, "Le colonialisme économique", pp. 41-60, "Le colonialisme social", pp. 61-76, "Le colonialisme culturel", pp. 77-40) ; (d) la [92] stratégie de la lutte politique pour l'indépendance ("La lutte pour la décolonisation", pp. 147-172, "Perspectives", pp. 173-190).

(a) Lorsqu'il est amené à dégager ce qu'est le colonialisme et à faire les portraits-types du colonisateur et du colonisé, l'auteur reste dans le domaine de l'abstrait et du général, reprenant presque intégralement les principales idées de Memmi, Berque et Fanon sur le sujet. Il échoue ainsi à montrer le caractère spécifique du colonialisme au Québec : société industrielle relativement développée mais dominée par une autre société industrielle - tandis que le cas typique de colonisation a trait à la domination et à l'exploitation d'une société non-industrielle ou en voie d'industrialisation (Tiers-Monde) par une société industrielle pleinement développée (Occident). Ce qui fait du nationalisme une réaction à la fois culturelle et idéologique à la colonisation économique et culturelle, phénomène qui relèverait de l'analyse des superstructures et de leur dépendance par rapport aux niveaux techno-démographique et socio-économique de la société, lui échappe également. De cette façon, le colonialisme apparaît comme une abstraction privée de ses fondements réels, comme un concept réifié de la décolonisation. On sait que les théories privées de leur lien avec la base réelle qui leur a donné naissance sont le propre de la pensée bourgeoise.

(b) On retrouve le même genre de lacune lorsque l'auteur entreprend de faire l'historique du colonialisme au Québec. Se limitant au plan juridique et institutionnel, son analyse ne lui permet que de montrer comment la Confédération fut un outil politique ayant servi, et servant encore, à assurer aux canadians une domination politico-économique au Québec, et d'y conserver l'hégémonie que la Conquête leur a donnée depuis longtemps. Cela, nous le savons, et il est un peu facile de se borner à le répéter. Ce que nous savons moins, c'est comment l'ancien nationalisme, de par son attitude face à la Confédération, son interprétation de notre histoire depuis la Conquête et sa politique soi-disant autonomiste, nous a colonisé au moins tout autant qu'Ottawa en faisant prendre à notre économie la même pente que l'économie canadian : l'asservissement au capitalisme américain. Une analyse du rôle du clergé comme producteur de l'idéologie traditionnelle ancienne manière, certains détails sur l'alliance entre nos curés et la bourgeoisie professionnelle et cléricale au Québec, cela aurait pu nous éclairer sur les antécédents du néo-nationalisme cher au RIN. Mais, bien entendu, il n'a jamais été dans la politique d'un groupe bourgeois ou petit-bourgeois de heurter l'Église de front (l'appui de cette dernière étant indispensable à un tel groupe, vu le contrôle qu'elle exerce encore par la voie de l'éducation), ni de s'opposer ouvertement à des intérêts internationaux plus puissants que les siens (le capitalisme nord-américain).

(c) Cette attitude idéologique ressort encore plus clairement lorsqu'on prête attention à l'examen que fait d'Allemagne de l'état actuel du colonialisme au Québec. Les pages consacrées à ce sujet, qui constituent sans doute la meilleure partie de l'ouvrage, démontrent approximativement ce qui suit. Le colonialisme joue à tous les niveaux de la vie d'une société : économique, politique, socio-culturel. La libération socio-culturelle est donc solidaire de la libération économique, cette dernière n'étant elle-même possible que par la voie de l'indépendance politique. Jusqu'ici, tout va bien. Sauf que l'on oublie un point capital : on analyse l'asservissement économique et on propose une solution qui l'abolirait, sans toutefois dire au profit de quoi : de la société québécoise toute entière ou seulement d'un groupe privilégié à l'intérieur de cette société ? En prêtant attention à la façon dont. l'auteur entrevoit [93] la libération du Québec, on verra apparaître clairement les raisons de cette omission.

(d) D'Allemagne parle de la décolonisation du Québec en invoquant des valeurs humanistes très vagues : dignité, liberté d'autodétermination, etc... Il n'analyse pas du tout par quels moyens on doit tenter d'arriver à l'indépendance. Toutefois, on sait par ailleurs que le RIN a choisi à cette fin l'action électorale à l'intérieur du système de partis et dans les cadres de la démocratie parlementaire existant actuellement au Québec. Cela suffirait déjà à mettre en évidence l'aspect réformiste et social-démocrate du RIN.

Mais, en plus, d'autres indices peuvent nous révéler le ou les groupes sur lesquels le RIN compte s'appuyer afin de prendre le pouvoir dans les cadres actuels de la société québécoise. S'il veut prendre le pouvoir, un nouveau parti doit s'appuyer sur une classe dont les partis déjà existant ne représentent pas ou plus adéquatement les intérêts : classe descendante (le parti est alors d'extrême-droite), classe défavorisée (certains secteurs de la classe paysanne, par exemple), ou enfin classe montante. Or, au Québec, à la suite de l'industrialisation et de l'essor économique d'après-guerre, deux classes ont pris une nouvelle importance : la classe ouvrière (particulièrement les ouvriers spécialisés et un rudiment de "nouvelle classe ouvrière"), la petite bourgeoisie (fonctionnaires, technocrates, administrateurs, gérants d'entreprise, enseignants, employés dans le domaine des services relevant plus ou moins directement de l'État). L'essor du syndicalisme ouvrier et du syndicalisme des cadres témoigne assez bien de cette évolution.

On peut alors se demander sur lequel de ces groupes le RIN fonde le plus ses espoirs dans le cas d'une éventuelle prise de pouvoir par voie électorale. L'idéologie que nous avons vu se dégager de l'oeuvre de d'Allemagne (représentant pourtant la gauche du RIN), comme de l'ensemble des discours et déclarations venant des membres du parti, nous porte à croire que le RIN se fera de plus en plus le défenseur des intérêts de la petite bourgeoisie québécoise sur les plans tant politique qu'économique et culturel. Cette petite bourgeoisie tend de plus en plus à remplacer notre bourgeoisie traditionnelle (professionnels plus ou moins parasites du colonisateur anglo-saxon), à s'appuyer sur un clergé plus progressiste" (genre "Maintenant"), et c'est en quoi son nationalisme s'oppose implicitement à celui de l'ancienne bourgeoisie tout en prenant la relève sur le plan idéologique. L'Indépendance du Québec, réalisée dans cette voie, instaurera graduellement ici un régime néo-capitaliste plus ou moins analogue, et asservi, au néo-capitalisme américain.

Si notre hypothèse s'avère conforme à la réalité, dans ses lignes générales, il serait alors illusoire, de la part des socialistes québécois, de croire qu'un parti comme le RIN puisse contribuer directement à la réalisation du socialisme au Québec. Il nous reste donc à travailler à l'organisation d'un parti qui, en s'appuyant sur les syndicats ouvriers et les travailleurs laissés pour compte par les tendances de plus en plus marquées du néo-capitalisme à l'automation, en s'appuyant aussi sur la classe paysanne et sur la nécessité de l'intégrer de façon planifiée à l'économie du Québec, en cherchant enfin l'appui d'une partie de la classe moyenne (employés des services relevant de l'État), tendrait à réaliser au Québec un régime d'économie socialiste par autogestion et fonction coordinatrice de l'État. Ce parti, pouvant éventuellement émerger de l'actuel PSQ ou le remplacer, élaborerait une stratégie politique définie et cohérente, et utiliserait comme moyens d'action tant l'éducation populaire et la représentation électorale (avec appui tactique au RIN, ou lutte électorale) que l'activité clandestine et proprement révolutionnaire, selon les nécessités du moment et l'état de la situation internationale.

[94]

Jusqu'à maintenant, les chances d'un tel parti par rapport à celles du RIN semblent bien minces. Cependant, compte tenu de la crise que commencent à traverser les sociétés néo-capitalistes occidentales, la situation pourrait se renverser plus rapidement qu'on a l'habitude tendance à le prévoir. Le capitalisme libre-échangiste n'a pas survécu à la première guerre mondiale, pas plus que le capitalisme des trusts et des cartels n'a traversé indemne la seconde guerre mondiale : il se peut bien que le capitalisme de monopoles ne survive pas à la crise actuelle.

La question demeure toutefois de savoir par quoi il sera remplacé : par un nouveau type d'une économie aberrante et depuis longtemps inadaptée aux besoins tant des sociétés industrielles avancées que des sociétés en voie de développement, ou par

une économie plus adéquate aux besoins sociaux et simplement humains, une économie à base de planification et d'autogestion de la société ? Le travail a aliéné l'homme, le travail et le loisir l'aliènent plus encore aujourd'hui. Viendra un jour prochain où le travail et le loisir ne seront plus aliénation mais création. Mais pour que cela soit, il faut d'abord le vouloir. Il faut que les groupes socialistes, au Québec et ailleurs, le veuillent véritablement. Aucune compromission avec le néo-capitalisme ne fera autre chose que disperser plus encore des efforts qu'il est plus urgent que jamais auparavant d'unifier dans le but d'abolir définitivement un type d'économie et de conception des rapports humains qui est radicalement périmé, sous quelque forme qu'il se présente.

luc racine



* André d'Allemagne, Le colonialisme au Québec, Renaud-Bray, Montréal. 1966.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 7:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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