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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Luc Racine, ENFANCE ET SOCIÉTÉ NOUVELLES. (1982)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Luc Racine, ENFANCE ET SOCIÉTÉ NOUVELLES. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 1982, 207 pp. Collection: L'homme dans la société. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]


[1]

ENFANCE ET SOCIÉTÉ NOUVELLES

Introduction

We don't need no education
We don't need no thought control
No dark sarcasm in the classroom
Teachers leave the kids alone

Pink Floyd, The Wall.


Les réflexions que je présente dans cet essai se situent volontairement en opposition radicale avec le discours officiel sur l'enfance, qui a culminé lors de la récente année internationale de l'enfant. Tout le monde étant pour le bien et contre le mal, il va sans dire que je suis contre le fait de battre les enfants ou de les affamer, et contre toutes autres choses malveillantes à leur égard. Je me refuse néanmoins à entonner la complainte de l'enfance martyre ou l'hymne à l'enfant-roi.

Toute la propagande qui se fait aujourd'hui sur les droits et les malheurs de l'enfance - pour ne pas parler de sa croissante prostitution dans les réclames publicitaires, les 'films et les revues pornos - toute cette gigantesque entreprise de protection et de rentabilisation du jeune âge relève plus du délire d'une fin d'époque que de quoi que ce soit d'autre. Bien entendu, ce délire est la plupart du temps bien intentionné - et toujours bien payé -, mais on sait depuis belle lurette que les bonnes intentions tapissent l'enfer.

Pourquoi donc se penche-t-on de toute part sur l'enfance ? Pour la protéger, voire la « libérer » ? Mais alors, la protéger de quoi ? Des parents, des pédagogues, des médecins pédiatres, des diététistes, des psychanalystes et [2] autres psychologues de l'enfance, des assistants sociaux, des moniteurs de garderies, de loisirs ou de colonies de vacances ? Non, bien sur. Il faut la protéger de la faim, des mauvais traitements, des pédérastes et autres monstres abjects. Une armée d'experts, dont la liste ne fait que s'allonger au gré des modes et des hystéries, se voue à sa protection, véritable mafia du jeune âge en nos sociétés déclinantes.

Jamais, semble-t-il, l'enfance ne fut autant protégée. Ni autant enfermée. Car où sont donc les petits ? Parqués dans les écoles, les garderies, les colonies de vacances et les centres de loisirs, dans leurs salles de jeu et leurs chambrettes familiales, expertisés à merci et miséricorde par la flicaille psycho-socio-médico-légale. Et aussi, n'oublions pas que ce n'est pas partout que la cage est d'or, battus et mal nourris.

Cage d'or, pourtant, la plupart du temps, en nos si modernes sociétés : tant de grands au service de l'enfance, n'est-ce pas admirable ? De si savants experts et de si talentueux techniciens pour prendre soin de leur santé, de leur sexualité, de leurs jeux et loisirs, de leurs apprentissages les plus divers, de leurs états d'âme, de leurs rêves et de leur bonheur. Ces gens remarquables les éduquent, les divertissent ; l'idéal, c'est ici la garderie « nouvelle », où, soigneusement équipés du matériel de jeu le plus moderne, les petits seront sous les observations, les soins constants et intégrés de tous les spécialistes réunis des Ministères de l'Éducation, de la Santé, des Affaires sociales, de la Justice, le tout chapeaute par le Protecteur du citoyen enfin venu à sa vraie nature de Big Brother. Là, les petits seront pleinement protégés, d'un bonheur parfait, on vivra à leur place. C'est ainsi que l'on embrasse pour mieux étouffer et que, en y mettant la quantité suffisante, on peut asphyxier l'enfance sous la barbe-à-papa.

Les enfants à l'école ou à la garderie ; les vieillards à l'hospice ; les adolescents à l'école, au centre de réforme ou [3] en prison ; les adultes au foyer, au chalet ou au travail : n'est-ce pas là le point terminal de l'évolution de la société humaine ? Les médecins, psychologues, pédagogues, politiciens, avocats, etc. ne nous libèrent-ils pas magnanimement de faire autre chose que de regarder la télévision, d'aller au Forum ou au parc Jarry ? Ne devrions-nous pas être à la fois fiers et reconnaissants envers ces bons experts qui préparent si sérieusement et affectueusement notre progéniture à vivre bientôt dans un monde à la hauteur duquel nous ne saurions nous hisser même en nos rêves les plus fous ? Pourquoi le passé nous hanterait-il ?

Pourquoi voudrais-je entrer en contact avec des enfants, si je n'ai pas le titre de parent, de psychologue, de pédagogue, de moniteur, ou que sais-je encore ? Pourquoi donc l'enfant serait-il pour moi autre chose qu'un erre à soigner et à protéger, à éduquer ? Ne serait-il pas possible quel ce soit parfois lui qui nous soigne, nous protège et nous apprenne, et qu'il soit le véritable maître du jeu d'amour ? Les enfants ne sont-ils donc que protégeables ou torturables, ne pourrait-on parfois les prendre pour des êtres humains normaux, et leur ficher la paix ?

Non, bien sûr, cela n'est que passéisme. La preuve en est que toute les sociétés orientées en ce sens sont aujourd'hui disparues. Le progrès, l'avenir, c'est la garderie et l'école nouvelles, la protection, les droits et l'expertise de l'enfance. En avant, route ! Marchons sans nostalgie vers l'âge du nucléaire et de l'espace, où l'univers entier pourra bientôt profiter des géniales découvertes des civilisations terrestres : on ne joue plus mais on sert l'enfance, on n'imagine plus mais on regarde la télévision, on ne meurt plus de vieillesse ou d'accident mais du cancer et des radiations...

Rien n'empêchait le progrès... il fut un temps.

[4]

L'essai qui suit est le résultat d'une réflexion et d'un bilan provisoire concernant les relations que j'ai eu avec un certain nombre d'enfants, dans le contexte du mouvement contre-culturel des années 70. La ligne conductrice en est, au-delà des différences de style et de genre, que le chemin vers la société nouvelle passe nécessairement par l'enfance, par un nouveau rapport à l'enfance, qu'il s'agisse du dépassement du couple et de la famille ou du développement des pouvoirs psychiques.

Dans une première partie, j'ai examiné comment a évolue la condition enfantine et le rapport adulte / enfant, en allant des sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs à nos sociétés modernes. Je me suis servi pour cela de la littérature existant sur ce sujet en histoire, en ethnologie, et de recherches éthologiques que j'ai moi-même menées pendant quelques années sur le développement des rapports sociaux entre enfants. Il ressort de cette première partie que la domination de l'adulte sur l'enfant est beaucoup plus marquée dans nos sociétés modernes que dans les sociétés précédentes, et que cette domination a eu comme principaux outils la famille nucléaire et les diverses institutions « pédagogiques » (orphelinats, écoles, garderies). Et que, malgré l'indéniable domination de l'homme sur la femme, renforcée dans les sociétés de classes, c'est la femme qui est devenue le véhicule principal de ce courant de contrôle du jeune âge.

Dans une seconde partie, j'abandonne totalement le langage scientifique, pour relater les expériences que j'ai moi-même vécues avec des enfants, dans un contexte communal ou autre (garderies, écoles libres). Ces expériences m'ont paru être la meilleure façon de faire sentir ce que pourrait être une nouvelle relation à l'enfance, c'est-à-dire [5] un rapport sorti du carcan familial et pédagogique, un rapport fait essentiellement de jeu, d'amour non-génital et de soif d'apprendre le monde, les autres et soi-même. J'insiste également sur les principales difficultés dans l'établissement de ce rapport : la possessivité des femmes sur leurs petits, l'échec des communes dans la prise en charge collective des enfants et la réduction pédérastique de l'amour de l'enfance à un amour génital.

Dans la dernière partie, enfin, je quitte le langage de la relation de l'expérience personnelle pour emprunter celui de la mystique chrétienne ésotérique, afin de décrire les valeurs symboliques de l'enfance, vue comme signe du monde nouveau et de l'avènement du royaume sur la terre (l'Apocalypse et le retour des temps messianiques).

J'espère que le passage du langage des sciences sociales et de l'histoire à celui du journal personnel, puis à ceux de l'alchimie et du Tarot, ne déroutera pas trop. Ces langages ne sont que des outils, et il ne faudrait pas penser que je crois en eux plus que le bûcheron croit en sa scie. Je me suis servi du langage qui, à chaque étape, me semblait le plus adapté à la facette de l'enfance que j'abordais, et je crois qu'il n'y a de contradiction qu'apparente entre ces divers aspects. Je dois toutefois avouer que l'ensemble a plus été écrit avec le cœur qu'avec la tête, et que mes méditations, réflexions ou analyses concernant l'enfance ont toujours suivi, et non précédé, mes expériences de l'enfance. Si, à la fin, on se demande ce que j'ai vraiment voulu dire, je ne pourrai que reprendre la blague de Rimbaud, en réponse à une question sur le sens des Illuminations : « J'ai voulu dire ce que j'ai dit, littéralement et dans tous les sens ».


WAKE UP !
You can't remember where it was.
Has this dream stopped ?
[...]

[6]

And we laugh like soft, mad children.
Smug in the wooly cotton brains of infancy.
The music and voices are all around.
[…]
Enter the hot dream.
Everything is broken up and dances.
Jim Morrison, AWAKE


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 15 janvier 2013 15:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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