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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Luc Racine, “La guerre américaine au Vietnam.” Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 5, no 4, janvier 1968, pp. 35-41. [Autorisation accordée par les ayant-droits de l'auteur le 9 septembre 2011 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

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[35]

Luc Racine

Sociologue, Département de sociologie, Université de Montréal

La guerre américaine
au Vietnam
”.

Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 5, no 4, janvier 1968, pp. 35-41.



Pour défendre sa domination économique et militaire sur une grande partie du monde, le gouvernement des États-Unis recourt aujourd'hui à des méthodes guerrières qui dépassent de loin les crimes nazis les plus écoeurants.

Le gouvernement des États-Unis, à la tête duquel se trouve les assassins Johnson, Rusk et McNamara, défend ainsi les intérêts des grandes compagnies américaines qui, en pillant littéralement les pays sous-développés, réalisent des profits énormes. Jusqu'à maintenant, on a jeté suffisamment de miettes à la population américaine pour que cette dernière ne se soulève pas contre le régime politique et économique américain. Le président Johnson et sa clique, solidement appuyés par la C.I.A. et l'armée, sont prêts à tout pour défendre ce régime. Pour défendre leur empire, les États-Unis ont attaqué la Corée, envahi Saint-Domingue, occupé le Vietnam; ils ont appuyé partout les gouvernements les plus réactionnaires, comme aujourd'hui, par exemple, ceux de Grèce, d'Indonésie, du Brésil, de l'Argentine et de la Bolivie, du Pérou et du Vénézuéla, de l'Inde et de l'Afrique du sud.

Dans ce contexte, il est clair que l'occupation du Vietnam du sud par l'armée américaine et l'agression de l'aviation américaine contre le Vietnam du nord ont pour objectif principal d'empêcher que la lutte de libération nationale du peuple Vietnamien ne compromette l'hégémonie américaine sur le sud-est asiatique. Il est clair aussi que le gouvernement des États-Unis accepte de prendre le risque de déclencher une troisième guerre mondiale afin de maintenir, dans un Tiers-Monde au bord de la famine et dans une Europe de plus en plus insatisfaite, sa domination économique, politique et militaire. Les États-Unis de 1967, c'est l'Allemagne hitlérienne renaissante : les États-Unis cependant, et c'est là une différence importante, sont aujourd'hui incomparablement plus puissant que ne l'était l'Allemagne au sommet de sa force. L'extermination d'un peuple ne se fait plus dans le secret des camps de concentration mais au grand jour. De plus, le sort fait maintenant par l'armée américaine au peuple Vietnamien pourrait bientôt être fait aux noirs américains eux-mêmes ou encore à n'importe quel autre peuple qui oserait entrer en lutte contre les intérêts de la "Great Society". La terreur yankee a commencé au Vietnam: on y bombarde les populations civiles au napalm et au phosphore; on y détruit des hôpitaux, [36] des églises, des écoles et des digues; on y enferme les paysans dans des camps de concentration où ils sont empoisonnés ; on y enterre vivants des femmes, des enfants et des vieillards ; on y dévaste les récoltes, on y décime les troupeaux et on y intoxique des populations entières à l'aide des produits chimiques et des gaz les plus nocifs ; on y écartèle les enfants de trois ans et on y mitraille des villages entiers.

Cependant, le déchaînement de toute la machine de guerre du pays le plus riche et le plus puissant du monde ne réussit pas à venir à bout de la résistance acharnée d'un petit pays sous-développé. Contre la résistance armée d'un peuple entier, les moyens traditionnels dont dispose une armée régulière, si puissante et bien équipée soit-elle, sont inefficaces. Ne pouvant pas recourir aux armes nucléaires à cause de la trop grande possibilité d'une réaction brutale de la Russie, les Américains ont donc recours de plus en plus à des moyens visant à terroriser et à affamer la population qui leur résiste. C'est là le sens des destructions de récoltes et de l'emploi de produits toxiques contre la population vietnamienne. Mais, cette tactique ne réussissant pas plus que les précédentes, l'armée américaine se verra de plus en plus acculée à choisir entre l'extermination pure et simple, avec le risque de guerre totale contre la Russie que cela implique, et le retrait inconditionnel des troupes américaines hors du Vietnam qui passera alors inévitablement, selon la volonté du peuple vietnamien tout entier, à un régime socialiste.

Il serait assez risqué de prédire laquelle de ces deux solutions prévaudra. Cependant, il est peu probable que le gouvernement américain risque une guerre avec la Russie qui impliquerait la destruction quasi totale des deux pays. Il est possible, au contraire, que le gouvernement américain, sous l'administration qui suivra celle des canailles actuelles, procède à un repli hors du Vietnam. Toutefois, même si cela se produit, dans un laps de temps et selon des modalités qu'il n'est pas facile de prévoir, les risques de voir se développer, dans une autre région du inonde (au Moyen-Orient ou en Amérique Latine, par exemple), un conflit du même type que celui du Vietnam ne seront pas éliminés. Car la guerre du Vietnam, avec toutes les horreurs qu'elle entraîne, n'est qu'une conséquence découlant du fait que la société américaine, telle qu'elle est actuellement organisée politiquement et économiquement, tire sa prospérité de sa domination sur le Tiers-Monde et sur l'Europe dont elle bloque le développement social et économique. La rançon de la prospérité américaine, c'est la famine en Inde, c'est aussi la misère des noirs américains. C'est aussi, très près de nous, la pauvreté de 30% des familles montréalaises, de 50% des familles de Québec, le dépeuplement de l'Abitibi et de la Gaspésie.

Je ne veux pas dire par là que nous payons aussi cher que les indous ou que les paysans boliviens pour la prospérité de l'Amérique; je veux seulement dire que, même si nous recevons de la part des grandes compagnies américaines un peu plus de miettes que les mineurs du Chili, notre cause est la même que la leur. Pour les grandes compagnies américaines, la guerre du Vietnam représente des profits colossaux; pour les travailleurs québécois, c'est le début de l'inflation, du chômage, de l'insécurité. Pour les étudiants, c'est un système d'éducation pourri et l'impossibilité de s'intégrer à une société paralysée dans son développement du simple fait que, de plus en plus, il est plus rentable pour les financiers américains d'investir dans l'industrie de guerre que dans les filiales des industries américaines au Québec. Ce n'est pas le Président du Trust Général du Canada devenu conseiller économique de l'union Nationale, ni les pérégrinations de M. Johnson à New York, ni les petites chicanes entre MM. Kierans et Lévesque qui changeront quoi que ce soit à cela. Le Québec dans la confédération canadienne sera toujours le Québec de la main-d'oeuvre à bon marché, parce que la Confédération canadienne n'est qu'un moyen commode pour que s'entendent entre elles les compagnies américaines et anglo-

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Photo: Daniel Rémi.

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Photo  Guy Valliquette

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canadiennes sur le dos des travailleurs québécois, que ces derniers soient ouvriers, employés, cultivateurs, fonctionnaires, enseignants ou étudiants ; le Québec dans une Union Canadienne restera le Québec des fonctionnaires et des technocrates soucieux de mieux servir les intérêts étrangers plutôt que ceux du peuple québécois, parce l'indépendance politique n'est pas tout le remède à nos problèmes et aussi parce, dans le régime économique actuel, ce n'est pas en unissant une bourgeoisie québécoise rachitique à une bourgeoisie canadienne complètement soumise aux monopoles américains que nous réussirons à développer notre pays.

Il faut être conséquent et logique avec nous-mêmes. Si aujourd'hui nous manifestons contre la guerre criminelle que les États-Unis mènent au Vietnam, c'est que nous commençons à nous apercevoir que la défense des intérêts américains dans le monde n'a rien à voir avec la défense de la liberté et de la démocratie contre le communisme ou le "péril jaune". Si nous manifestons contre la terreur américaine au Vietnam, c'est que nous nous rendons compte qu'un régime qui, pour se maintenir, a besoin de la terreur et de l'extermination est un régime qui doit disparaître parce que foncièrement inhumain et condamné par l'histoire. Le développement du Québec dans l'intérêt et selon les besoins du peuple québécois, de l'ouvrier à l'étudiant et du petit employé au professeur d'université, ne peut se faire que contre la domination américaine au Québec et ceux qui la servent ou en profitent. Le gouvernement américain et les intérêts qu'il sert sont autant l'ennemi du peuple québécois que du peuple Vietnamien. C'est là-dessus que notre solidarité avec le peuple du Vietnam se fonde réellement. Le peuple québécois. se rangera de plus en plus avec le peuple du Vietnam et avec toutes les nations opprimées contre les assassins de Ben Barka, de Patrice Lumumba, de Che Guevara, contre ceux qui affament les peuples du Tiers-Monde et abrutissent de la plus écoeurante propagande les travailleurs des pays occidentaux. Le peuple québécois se rangera de plus en plus aux côtés de ce peuple de "noirs lynchés, d'intellectuels persécutés (et) d'ouvriers contraints d’accepter la direction de gangsters" qu'est le peuple américain tel que l'a défini Fidel Castro.

La guerre que le gouvernement et l'armée américaine mènent au Vietnam vise directement à préserver la domination économique et militaire des États-Unis sur les pays du sud-est asiatique et du Tiers-Monde en général. La lutte du peuple Vietnamien contre l'agression américaine est une lutte de libération nationale et une lutte pour la construction du socialisme qui représente aujourd'hui le seul moyen pour les nations dominées de sortir du marasme et de la misère où les ont jeté l'exploitation économique et la domination politico-militaire des pays occidentaux.

Cette lutte du peuple vietnamien remet ainsi en question, au prix d'incroyables sacrifices, la domination yankee sur les pays sous-développés; elle remet par le fait même en question le fondement même d'une société gouvernée par l'alliance étroite entre la Maison Blanche, le Pentagone, le F.B.I., la C.I.A., l'armée, les grandes entreprises, les racistes de toute sorte et cette filiale de la grande entreprise qu'est devenue la centrale syndicale AFL-CIO sous l'émérite direction de George Meany.

La lutte des noirs américains contre une société qui les rejette et les maintient dans un état d'exploitation et de misère répugnant, rejoint la lutte du peuple vietnamien. Demain, le soulèvement des peuples d'Amérique Latine contre les régimes fantoches soutenus par la C.I.A. pour défendre les intérêts des grandes compagnies américaines, ira dam le même sens. Demain aussi, la lutte du peuple québécois pour sa libération, pour la destruction d'un régime politique favorisant l'exploitation des travailleurs québécois par les entreprises américaines et par leurs valets québécois et anglo-canadiens, s'inscrira dans ce mouvement général qui se dessine aujourd'hui dans le monde et qui a comme fin le renversement d'un système criminel d'exploitation des peuples.

l.r.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 novembre 2012 10:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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