RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Marcel RIOUX et Susan CREAN, DEUX PAYS POUR VIVRE: UN PLAIDOYER. (1980)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marcel RIOUX et Susan CREAN, DEUX PAYS POUR VIVRE: UN PLAIDOYER. Montréal: Les Éditions Albert Saint-Martin, 1980, 119 pp. Collection: “Recherches et documents”.

[7]

Deux pays pour vivre : un plaidoyer

Introduction

La conquête de l’autonomie


Depuis l’avènement au pouvoir du Parti québécois, le 15 novembre 1976, et le dévoilement progressif de sa thèse sur la souveraineté-association à laquelle plusieurs parmi les premiers indépendantistes, issus de la Révolution tranquille, ont mis quelque temps à se résigner, il est vite apparu que trop d’hommes politiques, trop de personnes, qui ont un intérêt certain dans le maintien du statu quo, ont fait tout en leur pouvoir pour brouiller les cartes et pour assurer leur position dominante. Il n’est pas sûr, toutefois, que les peuples québécois et canadien continueront de suivre aveuglément ceux qui, assis sur leur pouvoir économique et politique, le défendent âprement. La thèse que nous exposerons dans ce volume s’adresse davantage à l’ensemble des populations du Canada et du Québec plutôt qu’à ses « élites ». Nonobstant le résultat négatif du référendum québécois, en juin 1980, les mêmes questions vont continuer de se poser car aucun des problèmes ne sera résolu et il faudra, tôt ou tard, que les peuples canadien et québécois négocient pour en arriver à un nouveau type d’association.

S’il était normal que les partisans de la souveraineté-association commencent d’abord à convaincre les Québécois, il leur faudra convaincre aussi les Canadiens que ce type de réaménagement du Canada est peut-être la dernière chance de sauvegarder l’essentiel de ces nations. C’est la thèse que Susan Crean et moi allons défendre dans ce volume. Chacun de nous est profondément attaché à son pays et voudrait que le Québec et le Canada s’entendent pour pouvoir s’épanouir selon ce que l’histoire les a forgés et ce, en résistant aux menaces toujours [8] plus grandes que représente l’hégémonie américaine sur le monde, et singulièrement sur nos deux pays. C’est donc affirmer que nos arguments dépassent notre situation en Amérique du Nord et rejoignent, d’une façon ou d’une autre, les nations qui subissent l’influence économique et culturelle de cet empire. C’est parce que nos pays sont situés aux frontières des U.S.A. et qu’un peu partout dans le monde on les cite comme des exemples d’américanisation poussée qu’il nous faut tenter d’y résister et reprendre en main nos destinées. Parce qu’il n’est pas commun qu’une Canadienne et qu’un Québécois collaborent pour écrire et publier les réflexions que leur inspire l’état de leurs deux pays, il faut esquisser brièvement ce qu’ils sont et comment ils en sont arrivés là. Loin de nous l’idée de nous proposer en modèles ! Tout ce que nous voulons montrer, c’est qu’avant de proposer un ensemble d’idées et de positions sur la situation de nos pays, chacun de nous, à sa façon, a vécu quotidiennement, pour ainsi dire, les contradictions et les angoisses de nos milieux de vie et de nos sociétés. Nous pourrions peut-être dire, avec une pointe d’immodestie, que la mise en question des vérités reçues et le dépassement des contradictions font partie de l’apprentissage de la liberté ; de proche en proche, on en vient, à partir de son milieu immédiat, à examiner de plus grands ensembles, pour finalement en arriver à la domination impériale. Si d’être radical, c’est considérer les choses et les situations à leurs racines même, ces remarques le sont puisqu’au-delà de nos conditions de vie, situées et datées, se profile l’envahissement économique et culturel de nos pays par l’empire américain. Si, par le temps qui court, nos différences entre Canadiens et Québécois ont été amplement soulignées, à l’occasion de la prise du pouvoir par le P.Q. et de la crise énergétique, entre autres phénomènes, on n’a pas assez fait voir en quoi nos destinées se ressemblent et pourquoi nous devrions nous associer pour mieux résister contre notre américanisation progressive. Les quelques détails biographiques suivants nous concernant veulent illustrer justement cette communauté de destinée. C’est parce que nous croyons que les cultures canadienne et québécoise sont menacées qu’il faut de toute nécessité, non plus essayer d’entraver l’épanouissement de l’une ou de l’autre, mais assurer leur vitalité.

[9]

À l’été 1977, à une réunion convoquée par le Conseil des Arts du Canada, à Stanley House, en Gaspésie, nous eûmes l’occasion, Susan et moi, de causer et de discuter longuement. Nous nous aperçûmes que nous étions d’accord sur l’essentiel et décidâmes de continuer de discuter de l’avenir du Québec et du Canada. Bientôt nous résolûmes de discuter plus systématiquement et de mettre sur papier ces réflexions. Pour laisser à chacun la liberté d’écrire comme il l’entendait, nous avons convenu que Susan écrirait avec moi un volume en anglais pour le public canadien et de mon côté, à partir des mêmes dialogues, j’écrirais, avec elle, un volume pour le public francophone.

Si ces volumes démontrent quoi que ce soit, c’est que les grandes différences de tous ordres entre Crean et moi, loin d’être un obstacle à une meilleure compréhension et collaboration, sont, au contraire, les pierres sur lesquelles nous pouvons bâtir une nouvelle association entre Québécois et Canadiens. Cet énoncé contredit ce qui s’est fait généralement jusqu’ici : amenuiser, voire nier nos différences. Tout ce qui est requis pour mener à bien ces exercices tant personnels que collectifs, c’est un profond attachement à son pays, l’acceptation et le respect de l’autre et une vision globale de notre situation respective en Amérique du Nord et dans le monde. Il faut, bien sûr aussi, assez d’imagination et de largeur d’esprit pour échapper aux clichés et aux intérêts acquis de sa classe sociale et de ses appartenances particulières. Nous ne nous flattons pas, Crean et moi, de réunir tous ces prérequis, mais nous pouvons honnêtement dire que nous nous efforçons sans cesse d’y parvenir. Il y a tellement de murs d’incompréhension qui se sont érigés entre le Canada et le Québec et entre les citoyens de ces deux pays qu’il faut tout reprendre à sa racine et envisager autrement les solutions. Nous pensons que les populations sont plus aptes à pratiquer ce renversement que les élites politiques et économiques qui, quoi qu’elles en aient, défendent toujours des intérêts acquis. Nous croyons fermement que la libération personnelle, collective et nationale, doit d’abord être le dévoilement d’une réalité, la démystification des idées et des valeurs reçues et l’engagement lucide et entier pour ce qui nous apparaît juste et désirable. Ils sont encore trop nombreux ceux qui croient, quelle que soit leur [10] allégeance idéologique, que la vérité sort, armée de cap en pied, des dominants et des spécialistes qui sont à leur solde. S’il est une constante qui se dégage des divers mouvements de contestation qui sont apparus un peu partout dans les deux dernières décennies, c’est bien que les individus, les groupes, les collectivités et les pays veulent reprendre en main leur autonomie et assumer pleinement les représentations et les valeurs qui sont leur. Il nous semble donc que des mouvements d’émancipation qui n’engloberaient pas celle de l’individu même pour aboutir à celle de leur pays seraient tronqués parce qu’ils comporteraient des points aveugles dans leur processus de libération. La libération individuelle et nationale, en passant par celle de ses groupes d’appartenance, nous semblent faire partie du même mouvement historique : celui de la conquête de l’autonomie.

Il est de bon ton dans certains milieux de se moquer de ceux qui veulent s’affranchir de la dépendance économique et politique sous le fallacieux prétexte que notre époque est celle des grands ensembles et que nos besoins sont devenus tels que pour les satisfaire il faille sans cesse compter sur ces vastes réseaux techniques et économiques. S’est-on jamais demandé si les empires et les transnationales s’érigent en fonction du bien-être des individus et des peuples ou pour satisfaire leurs propres intérêts ? Les nombreux besoins que créent sans cesse ces mastodontes sont justement ceux qui sont nécessaires à leur survie et à l’accumulation de leur puissance. Et pour y arriver, on n’a encore rien trouvé de mieux que dépouiller individus et groupes de leurs savoirs, leurs techniques et leurs valeurs. Il nous semble donc que l’autonomie nationale que Crean et moi revendiquons pour chacun de nos pays, loin d’être une espèce de mouvement d’arrière-garde s’inscrit comme l’aboutissement des autres conquêtes de ces dernières années. Parce qu’en première et en dernière analyse notre plaidoyer pour la libération de nos pays est surtout d’ordre culturel — nous reviendrons longuement là-dessus — nous osons parler de « normativité » plutôt que de normalité. La notion de normalité emporte l’idée de conformité statistique à une norme socialement établie ; il en va dans les groupes humains comme dans tous les êtres vivants. Le biologiste Kurt Goldstein [1] a montré que certains organes peuvent s’adapter à un milieu [11] rétréci et diminué et, du point de vue de l’organisme, être considérés comme normaux. Il en va ainsi des groupes humains ; l’être dit normal peut vivre dans un milieu amoindri, voire déviant. Parce que les humains seuls ont la possibilité de créer de nouvelles structures et valeurs, l’être normatif est celui qui crée et assume de nouvelles structures et valeurs en vue de son émancipation ; il va sans dire que ce processus doit déboucher sur des groupes et donc sur des créations collectives. Et c’est notre thèse qu’aujourd’hui le lieu le plus riche de possibles, la nation, se trouve aussi le plus menacé par l’impérialisme. Pour dire le fond de notre pensée, nous soutiendrons que la domination culturelle se présente aujourd’hui comme la forme suprême de l’impérialisme et que de ne pas en tenir compte risque de rabougrir et de racornir les plus louables prises de conscience et les mouvements de toute nature qui peuvent s’y greffer.

Si tant est que notre expérience de mise en question de notre héritage socio-culturel peut illustrer ce que renferment les propos abstraits et quelque peu théoriques que nous venons de tenir, nous essaierons de montrer comment de proche en proche il nous est arrivé de nous intéresser à des facteurs de plus en plus diffus et globaux dont le point central d’émission est l’empire américain. Nous adressant, dans ce volume, à des lecteurs francophones, c’est le co-auteur anglophone qui servira d’exemple. Quitte à ce qu’elle fasse la même chose en sens inverse. Tout cela autant pour illustrer un processus individuel d’émancipation que pour nous présenter à nos lecteurs. Il s’agit en somme d’une séquence de vie qui comporte des ruptures et des boutures, des refus et des admissions. Comme André Gide le disait, il arrive dans la vie qu’il faille réviser ses traités d’alliance.

Susan Crean est ontarienne de vieille souche. Descendante d’Irlandais et d’Ecossais qui ont œuvré dans le service militaire, dans l’industrie et la diplomatie, elle naît dans un quartier huppé de Toronto et possède, dès l’abord, tout ce qu’il faut pour mener une vie confortable, exempte de tout souci. C’est une W.A.S.P. pure laine. Sa famille possède argent, religion, relations sociales et prestige qui peuvent lui ouvrir des portes qui sont fermées à d’autres, moins bien nés. Amenée petit à petit à prendre conscience de son état, elle s’aperçoit [12] qu’à côté d’elle et de sa famille vivent des êtres qui par leur appartenance de classe et d’ethnie sont moins bien considérés et moins bien nantis. Bien que sa famille soit tolérante et ne verse pas dans la consommation ostentatoire, elle se rend tôt compte de la différence de classe et s’achemine vers une première rupture, celle du rejet de certaines valeurs et attitudes de sa classe de naissance. C’est un processus qui se développe lentement et qui culmine à l’Université alors qu’elle se retrouve dans un milieu plus hétérogène et moins fermé que celui de son enfance et de son adolescence. C’est là qu’elle découvre deux choses qui seront capitales dans son évolution future : d’abord que plusieurs parmi ceux des étudiants et étudiantes qui ne font pas partie de sa classe ni de son ethnie ne sont pas moins intelligents ni moins intéressants ; au contraire ! C’est aussi là qu’elle commence à toucher du doigt qu’une discrimination, qui n’est pas toujours subtile, s’exerce à l’endroit des femmes, surtout contre celles qui prétendent à faire carrière.

Il semble bien que dans le cas de Susan Crean, comme dans d’autres que nous connaissons, le rejet de certaines idées et valeurs, et la critique de ses groupes d’appartenance passent d’abord par un stade tout personnel. Comment alors comprendre et expliquer que certains individus acceptent leur société et leur culture telles qu’elles sont et que d’autres se rebellent et se révoltent. Au-delà des éléments tout individuels qui marquent la vie de toute personne, peut-on trouver des facteurs sociaux communs qui rendraient compte de certaines ruptures et rejets ? Il est bien évident que toute société vise, par ses appareils idéologiques, telles la famille et l’école, à reproduire sa structure et sa culture. Dans une société traditionnelle, celle où se manifeste une solidarité mécanique — mêmes idées et mêmes valeurs — les cas de révolte contre la structure sociale et la culture sont moins fréquents. Dans nos sociétés pluralistes, plus nombreux sont les délinquants — ceux qui rejettent les moyens que la société permet pour atteindre certains buts — et les déviants, ceux qui rejettent les finalités et les valeurs même de la société et sa hiérarchisation. Quelque nom qu’on leur ait donné, les sociétés ont toujours considéré les déviants comme plus dangereux que les délinquants parce qu’ils mettent en cause la légitimité même de la société. De nos jours, dans nos société libérales, la guerre aux [13] déviants est davantage idéologique que physique. Nous discuterons abondamment de la domination culturelle qui s’exerce autant à l’intérieur des U.S.A. que sur les pays dominés ; il en va ainsi à l’intérieur de ces pays mêmes. Puisqu’il s’agit dans ce volume de domination et de dépendance — du Québec et du Canada — et qu’à son terme, nous serions comblés si de plus en plus de citoyens en prenaient conscience, nous sommes amenés, en nous présentant l’un et l’autre aux lecteurs, à nous demander si le rejet de la domination impériale est l’aboutissement d’un processus de vie — ce que tendrait à montrer le cas de Susan Crean — ou si l’on peut être conformiste pour le reste et se regimber contre la domination économique et culturelle de son pays. Il nous semble que l’on puisse soutenir les deux hypothèses. Il arrive, en effet, que certains Québécois soient nationalistes parce qu’ils veulent prendre la place des dominants Canadiens et que certains Canadiens soient nationalistes pour pouvoir remplacer les Américains — les uns et les autres ne mettant pas en cause leur propre société ; le nationalisme qui aboutit à la libération nationale est un moyen privilégié pour asseoir le pouvoir de ces élites politiques et économiques. Il apparaîtra, tout au cours de cet essai, que notre position est l’exact contrepied de celle-là.

Le problème de la révolte reste entier. Si l’on conçoit bien que des déshérités, des victimes de la société se révoltent contre l’ordre régnant pour améliorer leur sort ou se venger des injustices commises à leur égard, on comprend mal que des personnes comme Crean qui est née du bon côté de la rue pratiquent certaines ruptures. Pourquoi ? La réponse souvent donnée, c’est que les contestataires sont des êtres aigris et déséquilibrés qui ne veulent que détruire et saccager l’ordre établi. Ou des idéalistes et des rêveurs qui détiennent, bien ficelée et vissée une utopie qu’ils veulent actualiser, par l’amour, ou par le sang et la mort, s’il le faut. Nous aurions mauvaise grâce à ne pas admettre qu’il en va ainsi pour de nombreux révoltés. Mais il nous apparaît aussi qu’il est dans la nature de l’homme de construire tout autant que de détruire, que l’un ne va pas sans l’autre et qu’au surplus l’histoire montre que de tout temps des hommes et des femmes se sont révoltés contre l’ordre existant pour s’émanciper des contraintes subies et acquérir plus d’autonomie et de liberté. [14] Les combats varient avec les époques et les groupes mais il ne semble pas que l’on puisse écarter le rôle de l’imagination créatrice, c’est-à-dire la projection dans l’avenir d’une société plus libre et moins aliénée et dont le désir de réalisation inspire bien des actions. Il reste, bien sûr, comme dit le poète, que notre héritage n’est précédé d’aucun testament et que les chemins de la liberté et de l’émancipation sont loin d’être toujours bien balisés.

On se rendra donc compte que si nous soutenons que l’autonomie nationale est la condition nécessaire pour réaliser d’autres formes d’autonomie individuelle et collective, il nous apparaît aussi qu’à l’inverse, la libération nationale peut être l’aboutissement de l’apprentissage de l’autonomie dans d’autres domaines ; c’est le dernier cheminement que Crean et moi avons suivi. Chez elle, ce n’est qu’après avoir pris conscience des injustices liées à sa classe sociale ainsi que de celles perpétrées envers les femmes que la question nationale s’est posée et, dans la même foulée, la mise en cause de l’impérialisme américain. C’est en Europe, en Italie et en France où elle étudiait l’histoire de l’art — comme le font plusieurs rejetons de bonne famille — qu’elle prend conscience qu’elle est Canadienne et qu’elle commence à se poser des questions sur la destinée de son pays. C’est en vivant ensuite aux U.S.A. qu’elle se rend compte qu’elle ne pouvait pas continuer à y demeurer et revient au Canada pour s’engager dans des causes et des mouvements axés sur des revendications féministes, socialistes et nationalistes. De par sa formation et ses inclinations, c’est le point de vue culturel, au sens large de ce terme, qu’elle privilégia dans toutes ces activités, plutôt que celui de l’économie. Par des chemins différents et à des périodes autres, ce fut aussi mon itinéraire, à cela près que le laïcisme remplace le féminisme de Crean. Le dévoilement progressif de la réalité coloniale fut donc pour la Canadienne et le Québécois que nous sommes l’aboutissement des autres ruptures et critiques, sans que nous les ayons abandonnées en route. Il nous apparaît aussi que l’autonomie nationale est la condition de réaliser, au Canada et au Québec, des sociétés autogestionnaires dans lesquelles les femmes pourront œuvrer en toute égalité et en toute créativité.

[15]

Si le ton de ce volume et les arguments qui y sont développés peuvent agacer certains lecteurs qui n’y retrouveraient pas ceux dont se servent ordinairement les hommes d’argent et de pouvoir, nous ne nous en excusons pas. C’est le psychologue Erich Fromm qui parle d’un mal bien connu : « La peur de la liberté ». Il est, en effet, beaucoup plus rassurant, pour les humains que nous sommes, de nous complaire dans la dépendance et l’irresponsabilité : Dieu veille sur nous, les U.S.A. nous défendent, le gouvernement va légiférer pour corriger les injustices et nous, nous n’avons rien à faire ni ne sommes responsables de rien ; il y a toujours un spécialiste qui se substitue à nous et nous offre ses services. Il nous semble, au contraire, que les individus, les groupes et les pays doivent rapatrier tous ces pouvoirs, savoirs et techniques qu’ils ont délégués à d’autres pour pouvoir non pas subir l’avenir ou le prédire, à la Herman Kahn, mais pour le créer, l’inventer. L’autonomie conduit les individus et les collectivités à la libre disposition d’eux-mêmes.

Enfin, nous croyons qu’en cette fin du vingtième siècle, le devoir d’autonomie et de responsabilité n’est pas seulement celui de pays dominés, comme le Canada et le Québec, ni celui des classes dites défavorisées, mais celui de toutes les femmes et de tous les hommes et cela dans leur vie quotidienne autant que dans leur vie publique. On a trop longtemps cru que, pour changer la vie, il suffisait de créer de nouvelles institutions ou amender de vieilles constitutions tout en se contentant de mesurer les bénéfices économiques que chaque individu en tirera. Nous croyons, au contraire, que la vie quotidienne, c’est le niveau de la praxis la plus concrète, la pratique sociale qui englobe et totalise toutes les activités des hommes et des femmes en situation. Marx écrit là-dessus :

« L’homme — à quelque degré qu’il soit, donc un individu particulier et sa particularité en fait précisément un individu et un être social individuel réel — est tout autant la totalité idéale, l’existence subjective pour soi de la société pensée et sentie, que dans la réalité il existe soit comme contemplation et jouissance réelle de l’existence sociale, soit comme totalité de manifestations humaines de la vie [2]. »

[16]


[1] Goldstein, Kurt : La Structure de l’organisme, Gallimard, Paris 1954.

[2] Marx, K., Manuscrits de 1844, Éditions Sociales, Paris, 1962 p. 90.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 11 septembre 2021 10:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref