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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Marcel RIOUX, ESSAI DE SOCIOLOGIE CRITIQUE. (1978)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marcel RIOUX, ESSAI DE SOCIOLOGIE CRITIQUE. Montréal: Cahiers du Québec / Hurtubise HMH, 1978, 182 pp. Collection “Sociologie”.

[1]

ESSAI DE SOCIOLOGIE CRITIQUE.

Introduction


Pourquoi écrire aujourd'hui un essai de sociologie ? Pourquoi est-il question dans cet ouvrage de sociologie critique ? La réponse la plus simple et la plus près de la vérité, c'est que cet essai se veut d'abord une espèce de bilan qu'un intellectuel dresse, après s'être intéressé pendant plusieurs années à titre de chercheur et d'enseignant, à l'étude de la société, particulièrement à celle de la société québécoise. Les grandes transformations dont le Québec a été l'objet et mon engagement politique m'ont sans cesse forcé d'essayer d'accorder ma théorie et ma pratique. Ce qui veut dire que ce sont non seulement mes partis pris politiques qui ont changé mais mes options théoriques aussi. Dans quelques écrits, j'ai exposé mon engagement politique mais beaucoup moins les points de vue théoriques qui y étaient sous-jacents et que j'exposais à des étudiants. Il existe donc une liaison certaine entre l'évolution du Québec et celle des sociétés occidentales (E.U. et France particulièrement) et l'évolution de mes options théoriques, c'est-à-dire celles qui ont trait, ultimement, à la nature et à l'évolution des sociétés.

Pour fixer un peu les idées, je crois devoir dire que pendant plusieurs années, avant 1961, je me suis défini comme anthropologue et que je me rangeais, en gros, du côté de l'anthropologie culturelle américaine, celle que les Britanniques appelaient plus volontiers sociale et qui avait été fortement influencée par l'École française de sociologie, celle de « l'Année Sociologique », celle de Durkheim et de Mauss. Cette option sociologique était-elle compatible avec mon adhésion au socialisme, à Paris, dans l'immédiate après-guerre ? Probablement pas, puisque petit à petit, étant devenu socialiste, je m'intéressai davantage au marxisme qui se présentait comme une théorie sociale globale.

[2]

À partir de 1961, à l'Université de Montréal, convaincu que la meilleure façon de s'initier à un sujet est de l'enseigner, je donnai tous les ans, à des étudiants en sociologie, un cours d'introduction à la sociologie marxiste ; la dernière fois que je le donnai fut pendant le semestre d'hiver de 1976. Tout au long de ces années, cette introduction se transforma et, au fil des lectures et des recherches que je faisais, devenait de plus en plus critique du marxisme. Jusqu'au moment où je sentis le besoin de faire le point sur le chemin que j'ai parcouru ces dernières années. L'essai que je présente veut rendre compte, non pas en termes personnels mais théoriques, de ce questionnement. C'est donc une sorte de rapport d'étape que je fais plutôt qu'un itinéraire que je dresserais ou un bilan de mes années de recherche et d'enseignement.

Il me semble donc que le problème principal que je discute dans cet essai, celui des relations entre théorie et pratique que je pose en termes théoriques et par rapport à des auteurs qui en ont traité s'est présenté à moi parce que j'ai été engagé dans les deux activités, la théorie sociologique et la prise de position politique. Ces deux activités étant liées, leurs relations n'ont jamais cessé de me poser des problèmes. C'est donc dire que l'essai théorique que je présente ne répond pas seulement à un intérêt pour la théorie sociologique mais pour la pratique sociale aussi. Le marxisme m'est d'abord apparu comme une option où théorie et pratique, loin d'être dissociées, s'épaulaient l'une l'autre dans le cheminement vers la vérité et la justice.

Pourquoi donc aujourd'hui adopter une position critique envers lui ? On peut invoquer plusieurs raisons qui ne s'excluent pas l'une l'autre et que je partage à des degrés divers. Quelques auteurs, les plus prestigieux étant Henri Lefebvre et Lucien Goldman, ont soutenu qu'être marxiste c'est être critique, même envers le marxisme. D'autres, et ils sont trop nombreux pour les citer, veulent relire Marx pour y retrouver un Marx non déformé, le vrai Marx, alors que ce qu'ils cherchent c'est de justifier leurs propres options ; c'est une entreprise hasardeuse et, comme Castoriadis l'a soutenu, qui relève un peu de l'utopie car il est impossible de faire comme s'il n'y avait pas plus d'un siècle entre nous et Marx et que personne ne peut plaider [3] l'innocence devant un auteur qui a influencé, directement ou indirectement, la théorie et la pratique d'un peu tout le monde. D'autres veulent que ce soient les épigones qui ont d'abord perverti le marxisme et qu'il faut les dénoncer pour retrouver un Marx sans faille. C'est une option qui est bien confortable mais qui a tendance à tirer à soi certaines citations et positions de Marx et à en laisser d'autres dans l'ombre.

Dans cet essai, je reconnais en Marx le grand fondateur du point de vue critique que je fais mien, mais je crois aussi que sur les quelques questions que j'aborde, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est ambigu. La raison principale en est que quelque critique que se veuille un auteur envers son époque et sa société, il reste toujours tributaire de l'« épistèmè » et de l'air du temps de son siècle. La position que j'adopte envers Marx ne se veut pas polémique mais reconnaît que les théories et les observations sociologiques sont toujours, quoi qu'on en ait, situées et datées.

Il reste que dans un monde où la polarisation des options politiques a tendance à prévaloir qui n'est pas pour nous est contre nous celle des positions théoriques suit presque infailliblement la même voie et que vis-à-vis des deux camps principaux marxiste et non-marxiste celui qui n'est pas tout à fait dans l'un devient suspect d'être dans l'autre. Il faut s'y résigner.

Ces remarques faites, en quoi consiste cet ouvrage et quelle en est l'intention principale ? Je l'ai intitulé « essai » parce que, comme le dit le petit Robert, il traite « d'un sujet qu'il n'épuise pas » mais aussi parce que je n 'approfondis pas méthodiquement ce sujet comme dans une thèse ou un traité, mais que je présente un point de vue sans souci d'érudition ou d'exhaustion. Le déroulement de l'argumentation suit l'ordre dans lequel les questions se sont posées à moi et non un modèle imposé de l'extérieur. Je dois expliciter brièvement la trame de cette argumentation.

C'est d'abord en essayant de rendre compte théoriquement de l'apparition d'une « nouvelle culture », d'abord chez les jeunes et dans d'autres couches de la population, c'est-à-dire de nouvelles conduites,  [4] de nouvelles valeurs et attitudes, de ce qu'on a appelé aussi une nouvelle sensibilité, qu'il m'est apparu, à tort ou à raison, que les sociologies traditionnelles n'expliquaient pas ce phénomène d'une façon satisfaisante. Au fil de cette mise en question le sujet des interrogations s'est élargi et cet essai veut rendre compte de ce cheminement.

Dans un premier chapitre, suivant en cela la position initiale de Jürgen Habermas, j'essaie de distinguer, dans l'étude de la réalité sociale, trois principaux points de vue : positif, herméneutique et critique. Ils ne sont pas envisagés comme s'excluant l'un l'autre mais comme complémentaires. Il m'est, toutefois, apparu que Habermas lui-même n'a pu s'en tenir aux distinctions qu'il a proposées, mais en est venu, récemment, à abandonner non seulement ses premières positions marxistes mais le point de vue critique au profit d'une démarche de type herméneutique.

Aussitôt posé ce que le point de vue critique veut être par rapport aux deux autres, il faut situer Marx et se demander si sa démarche a toujours été cohérente là-dessus ; aussitôt apparaît une espèce d'oscillation entre les points de vue positif et critique que j'essaie de caractériser dans leurs grandes lignes, quitte à y revenir plus longuement au sujet de questions plus précises.

Très tôt, en tentant d'établir le point de vue critique, apparaît la question primordiale, selon moi, de la théorie et de la pratique et de leurs relations ; dans cette optique les concepts de « praxis » et de dialectique occupent une place privilégiée ; c'est là que sont examinées plus en détails les positions de Marx et de certains marxistes ainsi que celles de certains représentants de l'Ecole de Francfort, particulièrement celle de Habermas.

Ces considérations étant faites, il faut se poser la question du caractère distinctif du mode de production capitaliste. Contrairement à d'autres sociologues critiques, c'est l'avènement de l'économie et de l'économie politique comme phénomènes séparés du reste de la société et des autres connaissances et non l'exploitation ni la domination qui apparaissent comme le caractère spécifique de ce type de société. [5] L'aliénation objective qui en découle et qui se généralise au cours du déploiement historique de ce mode de production reste liée aux processus d'exploitation et de domination que d'autres critiques, particulièrement les économistes marxistes, ont aperçus et dénoncés. Il faut tenter de lier ces points de vue, non sans souligner que ce sont les contradictions dites culturelles qui sont les plus graves et qui, aujourd'hui, exacerbent les contradictions dites économiques.

Après avoir résumé dans une espèce de bilan les acquis de la société capitaliste et ses contradictions par rapport à d'autres types de société, j'essaie à partir des deux derniers volumes du Pr Daniel Bell, « The Coming of the Post-industrial Society » et « The Cultural Contradictions of Capitalism », d'interpréter autrement, du point de vue critique, les faits qu'il a rassemblés sur les Etats-Unis.

Ce qui m'amène au dernier chapitre dans lequel je défends la thèse qu'un sociologue critique, qui rétablit l'importance de la pratique par rapport à la théorie, doit s'intéresser tout autant à la création d'un autre type de société à la société qui se fait qu'à la critique de la société existante. Dans cette optique, l'importance des phénomènes culturels est restaurée ; deux séries de phénomènes liés à l'autogestion et à la nouvelle culture sont citées en exemple et leur importance soulignée.

Il est évident qu'à partir des mêmes préoccupations on eût pu aligner d'autres considérations. C'est parce que je présente les miennes comme elles se sont imposées à moi dans le cours d'une incessante recherche sur les relations de la théorie et de la pratique que je leur garde l'appellation d'essai, pour indiquer ce qu'il y a de non achevé, de non systématique dans leur présentation ; j'ajoute que j'ai voulu éviter la polémique et que je ne réclame aucune originalité, ayant été trop heureux de prendre mon bien là où je croyais le trouver et de déceler chez certains auteurs des positions qui répondaient à mes questions et qui semblaient s'accorder avec les miennes.

[6]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 28 septembre 2017 19:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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