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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Éric de Rosny, s.j., ndimsi. ceux qui soignent dans la nuit. (1974)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre du Père Éric de Rosny, s.j., ndimsi. ceux qui soignent dans la nuit. Yaoundé, Cameroun: Éditions CLE, 1974, 328 pp. Collection: Études et documents africains. Une édition numérique réalisée conjointement par Gemma Paquet (bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi) et Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Le 20 décembre 2011, le Père Éric de Rosny, jésuite, accordait aux Classiques des sciences sociales, son autorisation de diffuser tous ses livres. Cette autorisation nous a été retransmise, le 27 décembre 2011 par Jean Benoist, un ami personnel du Père de Rosny.]

[6]

Ndimsi.
Ceux qui soignent dans la nuit.

Avant-propos


Les hommes et les femmes auxquels je dois ces récits, sont maladroitement appelés guérisseurs.  Ils portent, dans leur propre langue, le titre plus imposant "bato ba mianga", au sens fort "les hommes doués de puissance". Comment les désigner autrement ? "Médecin traditionnel" n'évoque pas les combats livrés contre le Mal. "Anti-sorcier" qui est le titre souvent adopté dans les ouvrages d'ethnologie, ne rend pas compte de leur rôle d'intercesseurs auprès des esprits. Faute de mieux je conserve le terme conventionnel de guérisseur, vague à souhait, mais acceptable si l'on donne à la guérison une portée également spirituelle.

Depuis trois ans les circonstances m'ont permis de faire la connaissance d'une trentaine de guérisseurs. Vivant dans un quartier de la ville de Douala, au Cameroun, pour y apprendre une langue, je m'étais lié avec un voisin qui soignait toutes sortes de souffrances. Après lui, j'entrai en relation avec quelques-uns de ses collègues ; mais très vite je crus nécessaire de me mettre à l'école des guérisseurs de village, plus libres de leurs mouvements plus authentiques parce que tenus à l'écart des grands courants novateurs. Je rendis donc visite hors de Douala à des praticiens renommés, choisissant ceux de la côte qui appartiennent à une même aire culturelle et linguistique. En fait je retrouvai chez eux la même atmosphère qu'en ville, puisqu'ils sont aussi bien mêlés aux complexes problèmes de la vie moderne qui touchent les coins les plus reculés du pays.

[7]

Je me forçai à mettre aussitôt par écrit mes observations et je trouvai de l'aide pour déchiffrer les enregistrements que les guérisseurs et leurs clients m'avaient autorisé à prendre. Mais je ne les rédigeais pas avant d'avoir le sentiment d'embrasser la situation. Ce fut assez rare,  compte tenu de la quantité de traitements auxquels j'ai assisté, parce que tout le monde n'était pas prêt à me faire des confidences dans un domaine aussi grave. Il fallait un concours de circonstances. Je me suis donc contenté d'écrire dix récits. Mais je pense avoir abordé avec eux les principales questions qui tournent autour de la sorcellerie et des esprits, champ de travail des guérisseurs. De nouveaux dossiers, à mon niveau d'intelligibilité, amèneraient des redites.

On ne trouvera pas de conclusion à la fin des chapitres, parce que je ne vois rien de neuf pour l'instant sans me répéter, et parce qu’un essai de synthèse, fait hors du mouvement des récits eux-mêmes,  à simplifier des situations et des expériences que  je préfère plutôt présenter dans leur riche complexité organique. Je vois d'ailleurs l'ensemble des dix chapitres comme un tout cohérent. Et j'ai voulu communiquer au lecteur cette même impression d'harmonie culturelle, à laquelle j'ai été sensible, en rangeant les récits dans un ordre qui n'est pas toujours chronologique, montrant les guérisseurs dans leur fonction d’anti-sorciers avant de les décrire quand ils apaisent les esprits. J'espère que l'unité de l'ensemble sera perçue et viendra  d’elle même au jour   avec cette méthode plus naturellement que si je tentais de la faire ressortir en conclusion.

Je reste surpris de la simplicité avec laquelle ces guérisseurs m'ont reçu, quand je réalise la perturbation objective que ma présence ne manquait pas de provoquer, alors que l'enjeu de certains de ces traitements n'était autre que le salut de quelqu'un. Des amis jésuites, après avoir lu l'un de ces récits, fournissent une explication : "L'enquêteur est ici un étranger, blanc, français, et [8] prêtre catholique, ce qui facilite certainement les choses. Les gens trouvent sans doute que la distance est énorme entre leur culture et la sienne, estimant qu'il est neutre, qu'il n'est pas dangereux pour eux, et se sentent libres de lui dire ce qu'ils veulent de leurs secrets et de leurs pratiques ; par ailleurs, il est en situation de blanc, c'est-à-dire qu'il y a vis-à-vis de lui de la déférence, et que par conséquant on se sent flatté de le rensei- gner.

La suite montrera que malgré ces atouts, les choses n'ont pas toujours bien tourné. Le guérisseur le plus célèbre de Kribi ne veut pas encore que j’assiste à ses séances de soins. « Il sait pourquoi vous êtes venu, m'a dit le cuisinier de la mission qui est l'un de ses parents !" Un autre traitant, qui m'avait bien reçu jusque là, cesse un beau jour de répondre à mes questions : "Je meurs si je trahis le secret". Je lui réplique que je ne désirais pas tant savoir les secrets, que le sens de ses pratiques. "Le secret est fait de détails, comme ceux que vous demandez. Je veux me taire pour ne pas me laisser emporter". Je lui rappelle que les explications qu'il m'avait fournies l'an dernier n'ont pas eu de conséquences fâcheuses. "On commence bien, et puis ça dégénère en mal".

Jamais un guérisseur ne m'a demandé pour quelle raison je m'intéressais à son travail, mais comme je devinais qu'ils s'interrogeaient sur mon compte, je pris souvent l'initiative de leur donner mes motivations. J'étais professeur dans un collège et je restais frappé du peu d'intérêt que les jeunes portent à leurs coutumes. Nous voulions leur redonner l'estime, par exemple, de la médecine traditionnelle. J'étais vicaire dans une paroisse, et je désirais connaître la liturgie et les rites des grands traitements, mesurer leur impact sur la mentalité religieuse d'une population presque entièrement chrétienne. Étudier pour elles-mêmes, puisque le travail n'avait pas encore été entrepris sur ce coin de côte, les méthodes thérapeutiques [9] efficaces, n'était-ce pas une raison suffisante ? [1]

Mais je crois qu'ils ne m'auraient pas dans l'ensemble aussi bien reçu, s'ils n'avaient pas perçu à la longue que je  venais parce que j'avais besoin d'eux. Je ne me suis d'ailleurs rendu compte moi-même de cette dernière motivation que progressivement. Je ne nie pas que m'ait attiré le côté étrange et ésotérique de ces cérémonies si fascinantes pour un européen, lassé de voir se répercuter sa propre culture en Afrique. Ce choc n'aurait soutenu mon attention que trois ou quatre nuits. Tandis que je trouvai un intérêt qui ne se dément toujours pas, à observer comment ces pères et mères spirituels traitent l'angoisse d'une femme qui a perdu déjà deux de ses enfants, la lassitude d'un jeune-homme réduit au chômage ; à voir exprimer mes propres interrogations sur l'homme, la vie, le salut, avec des tentatives de réponses dans un langage culturel différent du mien. Alors que l'on se sait d'un autre univers culturel, reconnaître soudain l'identité fondamentale qui surgit, est quelque chose de bouleversant. "Où irai-je loin de ton esprit, où fuirai-je loin de ta face?”



[1] "Nous entrons là dans un domaine de recherches nouveau et peu exploré, qui se révélera probablement très riche : celui de la sociologie médicale". Basil Davidson. "Les Africains" p. 141.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 14 juin 2013 19:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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