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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Père Éric de Rosny, s.j., ICI OU LÀ EN AFRIQUE. Récits et péripéties. (2002)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre du Père Éric de Rosny, s.j., ICI OU LÀ EN AFRIQUE. Récits et péripéties. Préface de Pierre-Marie Mesnier. Paris: L’Harmattan, 2002, 204 pp. Collection: Graveurs de mémoire. [Autorisation accordée par l'auteur le 27 décembre 2011 de diffuser tous ses livres dans Les Classiques des sciences sociales, autorisation retransmise par Jean Benoist, un ami personnel du Père de Rosny.]

[5]

Ici ou là en Afrique.
Récits et péripéties.

Préface

par Pierre-Marie Mesnier


Lettre à l'auteur

Mon cher Éric,

Quand tu m'as proposé de préfacer les récits qui suivent, j'en ai conçu une grande joie et un peu d'inquiétude : un des codes immuables de la sagesse et des savoirs traditionnels que tu as si bien décrits dans le contexte africain ne veut-il pas que ce soit l'Ancien qui « autorise » le plus jeune à s'exprimer ? Et voilà que toi, l'auteur confirmé, tu inverses les rôles en me demandant ici de parler le premier !

Le lecteur doit alors comprendre que c'est un autre registre qui préside à cette demande, celui de l'amitié, une forte amitié qui remonte à plus de trente ans.

[6]

Octobre 1970 : jeune coopérant, je prends le même avion que toi à destination de Douala et je ne suis pas rassuré du tout : l'aventure africaine m'attire, mais, une semaine auparavant, un Boeing de la Swissair, compagnie que nous empruntons, a été victime d'une explosion en plein vol due à un attentat terroriste... Voilà la première expérience forte que j'ai partagée avec toi et ton calme de déjà « vieil africain » m'a rasséréné durant ce long voyage [1].

Avant que le préfacier ne s'efface pour présenter en quelques mots tes récits, le lecteur apprendra encore quel rôle tu as joué dans ma découverte de la face cachée d'une Afrique dont rien ne me serait apparu si je m'en étais tenu à mon seul rôle d'enseignant consciencieux au collège Libermann de Douala : c'est l'époque où tu commençais - reprenant et prolongeant cette magnifique tradition illustrée par de grands jésuites depuis la fondation de l'ordre - une

[7]

impressionnante immersion dans la culture du pays douala. Depuis ta modeste case du quartier de Deïdo où j'allais souvent te voir, tout en apprenant la langue, ton but initial, tu commençais à découvrir les  pratiques  traditionnelles dans le domaine de la santé, tu rencontrais tes premiers amis « medicine men », ceux qu'on s'accorde aujourd'hui à appeler les tradipraticiens. Je t'ai accompagné alors dans bon nombre de ces séances collectives de soins nocturnes - parfois interminables, souvent ponctuées de moments très forts - que tu as si bien décrites et interprétées dans tes ouvrages. Ce long chemin t'a conduit à passer de l'autre côté du miroir, toi-même devenant - pardonne moi ce néologisme abusivement syncrétique - un « tradiprêtre » capable d'entendre et de voir sur plusieurs registres culturels et religieux  les maux que tes consultants d'aujourd'hui t'exposent.

De voir plus encore que d'entendre : les lecteurs de ces courts et passionnants récits découvriront ton sens aigu de la vision, sûrement affûté et transformé par l'initiation [8] que tu as décrite dans Les Yeux de ma chèvre, mais aussi et d'abord par ces longs moments d'observation, cet acharnement du travailleur infatigable que tu as toujours été à les restituer au plus près, dans de minutieuses monographies rédigées à chaud - j'en ai été témoin - sans vouloir risquer la moindre interprétation avant d'avoir « filmé » la séance observée dans ses plus petits détails. Tu ne t'es jamais prétendu universitaire ni chercheur professionnel, et voilà que tes ouvrages ont connu une audience et une reconnaissance dans la communauté scientifique que bien des anthropologues pourraient légitimement t'envier. Tu représentes pour moi ce modèle précieux - et trop rare - d'une alliance particulièrement féconde entre l'action et la pensée, l'intervention et la réflexion, ce paradigme du « praticien chercheur » qui fait tant défaut à notre tradition française si lente à se débarrasser des vieux clivages entre les savoirs pratiques et théoriques dont se nourrit encore la hiérarchisation de notre système éducatif et universitaire...

Un visuel donc - ta passion pour le cinéma en est un autre indice. Les récits que tu nous offres aujourd'hui sont autant de petits films que l'on a grand plaisir à suivre, grâce [9] à ta plume élégante et légère, dans les zones d'expérience les plus diverses que tu as traversées. Grâce également à un solide humour qui peut ici s'exprimer tout à loisir, débarrassé que tu es maintenant des contraintes de l'écrit long à valeur plus démonstrative. Un seul exemple de cet humour : la sympathique autodérision dont tu entoures ce nom à rallonge qui t'a valu quelques ennuis narrés dans « La Royale » - ce qui n'exclut pas la fierté d'appartenir à un très ancien lignage - jusqu'à oser, en exergue du premier chapitre, ce mauvais calembour que n'aurait pas dédaigné un Victor Hugo qui en était friand, « Rosny soit qui mal y pense » !

Le lecteur pourra, au fil de ces « récits et péripéties », rire avec toi des mésaventures du rappelé en Algérie bien empêtré dans son tout nouvel uniforme de fusilier marin, de l'apprenti chasseur dans la brousse ou du voyageur confronté aux affres de la perte en transit d'une mallette pleine de précieux documents... Mais il partagera aussi l'émotion de scènes fortes vécues à l'armée (« La peur au ventre ») ou, au centre de cet ouvrage, dans ce contexte camerounais que tu connais si bien pour y être plongé depuis 45 ans : la vie quotidienne des pêcheurs de sardines, le Noël dans un village [10] de la côte, l'angoisse de cette vieille femme accusée de sorcellerie, l'apparition de la jeune malade mystérieusemeant ranimée par un « nganga », un grand maître des soins traditionnels, ou encore la vision du cadavre de ce jeune étudiant installé en hâte sur la table de ping-pong de la cité universitaire, au grand scandale de ses camarades.

Ton regard tour à tour amusé, étonné, indigné et empreint d'empathie nous donne à vivre des scènes pleines de couleurs, de saveurs et de sons - une vraie fête pour les sens - agrémentées par ton habileté à camper le décor, à faire dialoguer les personnages en véritable scénariste. La vision nous entraîne parfois aux confins de l'onirisme : au Tchad, ces jeunes qui jouent dans le lointain semblent quelques génies rieurs surgis de la brume du fleuve. Elle nous fait aussi goûter la poésie de moments d'exception, tel cet « air de flûte douce » qui envahit un paysage paisible et grandiose et le relie harmonieusement à la gravité d'une émouvante cérémonie.

Les titres aussi sont savoureux, je ne résiste pas au plaisir d'en citer quelques-uns : « Les révoltées de la fripe », [11] « Le rire de Sara », « Portrait de groupe avec dame », « Ces hommes à la nuque raide ». Autant de références bibliques, littéraires ou cinématographiques sous-jacentes, comme dans « Les dents du Saint Père » : l'allusion au film de Spielberg fait partager au lecteur comme un joyeux frisson d'irrévérence contenue ! [2]

Pour ceux qui te connaissent, ces récits, indirectement, parlent aussi de toi, de ta grande capacité à observer, à rire, à t'indigner comme à t'émerveiller et, plus encore, à compatir. Oui, la compassion est sans doute le thème clé qui traverse ces récits, les rend si touchants dans leur diversité et te rend si proche, toi qui nous les offres.


Pierre-Marie Mesnier
Enseignant-chercheur à l'université de Paris III-Sorbonne Nouvelle en sciences de l'éducation, et photographe occasionnel d'Éric de Rosny pour Les yeux de ma chèvre.


[1] II est bon que le lecteur sache aussi que nous partagions à l'époque le même engagement dans la Compagnie de Jésus et qu'il y aurait beaucoup à dire sur le rôle et la qualité de ces réseaux, aussi invisibles que solides, qui relient aujourd'hui bon nombre de ceux du « dehors » à ceux du « dedans »... Mais ceci est une autre histoire.

[2] Il va de soi que cette interprétation n'engage que l'auteur de cette préface.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 16 juin 2013 7:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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