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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Denis Szabo, Urbanisation et criminalité” (1963)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Denis Szabo, Urbanisation et criminalité”. Un article publié dans Déviance et criminalité. Textes réunis par Denis Szabo avec la collaboration d'André Normandeau, pp. 176-194. Paris: Librairie Armand Colin, 1970, 378 pp. Collection U2. [Source: « Urbanisation et criminalité », Revue de l'Institut de Sociologie, no 1, 1963, pp. 37-52.] [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 25 mai 2005, de diffuser la totalité de ses publications].

Introduction

Que la grande ville soit un loyer de crimes et de pathologie sociale, est une idée qui appartient à un moment révolu de l'histoire occidentale récente. L'opposition entre la ville et la campagne s'estompe au profit de la généralisation d'un milieu technique et urbain, sur lequel l'étiologie de la criminalité et de la déviance doit s'appuyer. 

 

L'étude des rapports entre la ville et la criminalité, le processus d'urbanisation entraînant un accroissement des conduites déviantes, a été un des thèmes classiques de la sociologie dès la fin du XIXe siècle [1]. L'émergence d'une nouvelle forme de société, liée intimement à l'industrialisation et plus généralement au progrès technique, provoquait des situations conflictuelles telles que le taux de criminalité ne cessait d'augmenter.

 

Ces études n'ont pas été exemptes de préjugés voire de prises de position nettement subjectives. La nostalgie de la vie des campagnes et des petites villes préindustrielles transparaît dans bien des écrits et les critères de désorganisation sociale (concept combien critiquable) sont généralement tirés des conceptions théoriques développées à partir d'une réalité sociale préindustrielle [2].

 

On peut considérer l'urbanisation du monde occidental, en particulier celui de lAmérique du Nord, comme virtuellement achevée. Elle a eu lieu en deux temps. Nous observons d'abord une concentration de la population dans les villes et surtout dans les régions métropolitaines [3]. Ce processus semble s'être stabilisé vers les années 1950. Ensuite, nous assistons à une extension de la culture urbaine grâce aux communications de masse, à la mobilité géographique accrue, à la « banlieusardisation », à la « rurbanisation » des bourgs et des campagnes [4].

 

Ainsi, les discussions sur la définition des villes par rapport aux campagnes ont perdu de leur acuité. Les indices d'urbanisation, appliqués à des unités géographiques plus vastes que les limites d'une municipalité, sont les seules mesures actuellement utilisables dans la délimitation de ce qu'on peut appeler encore genre de vie urbain et genre de vie rural. Les indicateurs les plus communément utilisés font appel à la proportion de la population vivant d'agriculture, de celle vivant d'industrie et de transport, de la densité de population, de l'importance numérique des agglomérations ainsi que de la consommation d'énergie, par tête d'habitant [5]. On parlera donc bien plus de zones plus ou moins urbanisées que de villes opposées aux campagnes.

 

L'unanimité des chercheurs se fait d'ailleurs sur l'idée que le contraste entre ville et campagne s'est atténué au point que ce qui fut le thème majeur de la sociologie américaine des années 20 et 30 [6] ne constitue plus, à l'heure actuelle, un centre d'intérêt particulièrement vif [7]. La problématique actuelle d'une sociologie urbaine devrait concerner l'intégration d'une ville dans son hinterland, la domination d'une agglomération dans un vaste réseau urbain, les caractéristiques de la distribution du pouvoir dans une communauté urbaine, etc. [8].

 

La problématique traditionnelle qui établissait un parallèle entre l'urbanisation et les conflits socio-culturels si favorables à l'éclosion des conduites criminelles demeure toutefois entière et d'actualité dans les pays en voie de développement. Selon les récentes études du Centre d'études urbaines de Californie, l'accroissement des régions métropolitaines présente le plus d'ampleur dans des continents comme l’Afrique, l'Asie, l'Amérique latine et en U.R.S.S. [9].

 

Il apparaît donc de plus en plus évident que ce qui fut le problème de l'urbanisation il y a un demi et même trois quarts de siècle est devenu aujourd'hui celui de la civilisation industrielle qui, pour l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord, est la civilisation tout court. Étudier les relations entre la criminalité et l'urbanisation - si l'on écarte le problème de leur évolution concomitante au cours de l'histoire -, c'est étudier les rapports entre le genre de vie prédominant dans notre culture et les diverses formes de la conduite déviante qu'il produit.

 

Systématisant nos connaissances actuelles sur le sujet, Clinard procède à la comparaison d'études européennes et américaines et conclut à l'identité des hypothèses et des résultats des recherches. 

 

Hypothèse I : Plus une région est urbanisée, plus grand est le taux des délits contre les propriétés, tous les autres facteurs étant égaux par ailleurs.
 
Hypothèse II : Le criminel rural se caractérise par un grand nombre de contacts impersonnels en dehors de sa communauté à laquelle d'ailleurs il ne se sent pas attaché.
 
Hypothèse III : Le genre de vie urbain étant caractérisé par un comportement impersonnel, le criminel rural commet son délit loin de son domicile.
 
Hypothèse IV : Étant donné l'hétérogénéité de la culture citadine, des sous-cultures criminelles s'y forment qui assurent la continuité à des conduites criminelles ; plus une région est urbanisée, plus grande est l'influence de ces sous-cultures. Par voie de conséquence, leur importance est réduite en milieu rural.
 
Hypothèse V : Le type criminel qui caractérise la pègre ne peut se développer qu'en milieu fort urbanisé ; le criminel rural ne se définit pas comme criminel dans le sens d'une appartenance à un milieu de vie différent, voire opposé à la culture dominante. 

 

Pour toutes ces raisons, nous n'allons pas, dans les quelques pages qui suivent, tenter d'établir un bilan des études contemporaines sur notre sujet : celui-ci fait éclater les concepts fragiles et déjà datés de « ville », d'« urbanisation » et même de « criminalité ». Notre propos sera d'esquisser une matrice conceptuelle dans laquelle se situent et se situeront de plus en plus les analyses qui ont pour objet les conflits socio-culturels qui caractérisent la vie de nos grandes villes contemporaines.


[1] Szabo, Denis, Crimes et villes, Paris, Cujas, 1960.

[2] MILLS, C.W., « The Professional Ideology of Social Pathologists », in American Journal of Sociology, 49 (2), Sept. 1943, pp. 165-180.

[3] Szabo, Denis, Crimes et villes, Paris, Cujas, 1960.

Davis, K., « The Origins & Growth of Urbanism in the World », in American Journal of Sociology, 60 (5), March 1955.

[4] Juilliard, E., « L'urbanisation des campagnes en Europe occidentale », Études rurales, 1 (1), avril-juin 1961, pp. 18-33.

[5] Szabo Denis, Crimes et villes, Paris, Cujas, 1960.

GIBBS J.P., Schnore L.F., « Metropolitan Growth : an International Study », in American Journal of Sociology, 66 (2), sept. 1960, pp. 60-66.

[6] École de Chicago, SHAW, McKAY, etc.

[7] MANNHEIM F., « Theoretical Prospectus of Urban Sociology in an Urbanized Society », in American Journal of Socielogy, 66 (3), nov. 1960, pp. 226-229.

Dewey, R., « The Rural-urban Continuum : Real but Relatively Unimportant », in Journal of Sociology, 66 (1), July 1960, 60-66.

STEWART Ch.T. jr., « The Urban-rural Dichotomy : Concepts & Use », in American Journal of Sociology, 64 (2), sept. 1958, pp. 152-158.

[8] Dickinson, R.E., City Region and Regionalism, London, RoutIedge & Kegan Paul, 1952.

[9] GIBBS J.P. & SCHNORE L.F., « Metropolitan Growth : an International Study », in American Journal of Sociology, 66 (2), sept. 1960 : pp. 60-66.

ANDERSON N., « Urbanism & Urbanisation », in American Journal of Sociology, 65 (1), July 1959, pp. 68-73.

UNESCO, Social Implications of Industrialisation & Urbanisation in Africa South of the Sahara, Paris, 1956.

UNESCO, Urbanisation in Asia & the Far West, Calcutta, 1957.

CLINARD M.B., « A Cross-cultural Replication of the Relation of Urbanism to Criminal Behavior », in American Sociological Review, 25 (2), april 1960, pp. 253-257.


Retour au texte de l'auteur: Denis Szabo, criminologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mercredi 7 juin 2006 13:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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