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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Norman W. Taylor, “L’industriel canadien-français et son milieu”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 2, no 2, avril-juin 1961, pp. 123-150. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Traduction de Marc-Adélard Tremblay et Yves Martin.] Introduction Le problème qui fait l'objet de la présente étude est celui de la participation proportionnellement très faible des Canadiens français à la direction de l'industrie manufacturière dans la province de Québec, où ils forment pourtant les quatre-cinquièmes environ de la population totale. Au surplus, dans la mesure où ils participent à la direction de l'industrie dans la province, les Canadiens français exercent leur activité sur un plan beaucoup plus restreint que leurs compatriotes de langue anglaise ; dans les entreprises canadiennes-françaises, le capital engagé est en général plus faible, le nombre des employés moins élevé et la production moins considérable que dans les entreprises dirigées par des administrateurs de langue anglaise. Pour rendre compte de cette situation, la gamme des explications possibles va d'une interprétation en termes purement géographiques à une interprétation en termes purement historiques. À un extrême, on peut citer, à titre d'exemple, les vues de Faucher et Lamontagne qui écrivent :
Sans doute devons-nous, de toute évidence, tenir compte des facteurs économiques objectifs réels auxquels est partiellement lie l'écart entre le Québec et l'Ontario, mais une telle explication constitue une simplification abusive des problèmes posés. On ne peut, par là, expliquer les différences observées à l'intérieur même de la province de Québec. L'examen des facteurs économiques objectifs permettrait peut-être d'expliquer le retard du développement économique au Canada français ; il n'en reste pas moins que lorsque fut entreprise de façon plus intensive l'exploitation des ressources du Québec, ce ne sont pas les Canadiens français mais les Canadiens anglais et les Américains qui prirent l'initiative. C'est le problème de ce retard, celui des Canadiens français dans leur propre province, que nous tentons d'analyser dans cette étude. Après avoir fait brièvement état des différences entre Canadiens français et Canadiens anglais sur le plan de l'initiative économique, Faucher et Lamontagne "suggèrent aux sociologues de chercher une explication plus concrète et plus simple, c'est-à-dire de se remettre à l'examen des réalités économiques du passé et du présent" [2]. Ils laissent ainsi entendre, en des termes qui peuvent induire en erreur, que leur étude suggère une explication de ce problème particulier en termes de "réalités économiques" ; en fait, ils ignorent tout simplement le problème tel qu'il se pose à l'intérieur de la province de Québec, en même temps qu'ils nient l'importance des influences culturelles. Notre objectif est, ici, de montrer qu'au contraire, dans la mesure où elles ont laissé leur empreinte sur les valeurs et les aspirations de ceux qui forment la société canadienne-française, ces influences ont été l'un des facteurs les plus significatifs du mode de comportement économique des Canadiens français. Plus précisément, les hypothèses suivantes constituent le point de départ de notre étude : (1) Parce que, dans la société canadienne-française, le statut attribué aux affaires en tant que profession était relativement peu élevé, les chefs d'entreprise étaient issus surtout des couches sociales les moins privilégiées, les moins instruites. Nous n'analyserons pas, dans le présent article, cette première proposition. (2) La direction des entreprises manufacturières, chez les Canadiens français, a, en général, un caractère familial marqué et l'importance que l'on attache à la sécurité de la famille conduit à l'adoption de politiques conservatrices dans l'administration des affaires. (3) Le chef d'entreprise canadien-français a tendance à garder entre ses propres mains la direction de son entreprise, tant sur le plan financier que sur le plan administratif ; cette pratique constitue un obstacle à l'expansion des entreprises. (4) Entre les chefs d'entreprise et leurs employés, leurs concurrents ou d'autres agents économiques, les relations ont un caractère personnel, contrairement à ce que l'on observe, en général, dans les sociétés fortement industrialisées. Ce mode de relations restreint la liberté d'action du chef d'entreprise et constitue ainsi un facteur défavorable à l'efficience et à la croissance. (5) Bon nombre de manufacturiers canadiens-français sont peu préoccupée de suivre l'évolution du marché et de s'y adapter ; c'est là la source de comportements non rationnels, chez ces chefs d'entreprise.
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