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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc-Adélard Tremblay, “Compte rendu. Gérald C. BOUDREAU, Le père Sigogne et les Acadiens du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, Montréal, Bellarmin, 1992, 229 p.” Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 35, no 1, janvier-avril 1994, pp. 155-159. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [ L'auteur nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres dans Les Classiques des sciences sociales.]

[155]

Marc-Adélard Tremblay (1922 - )

Compte rendu. Gérald C. BOUDREAU,
Le père Sigogne et les Acadiens du sud-ouest
de la Nouvelle-Écosse
, Montréal, Bellarmin, 1992, 229 p.”

Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 35, no 1, janvier-avril 1994, pp. 155-159. Québec: Les Presses de l'Université Laval.


En acceptant d'écrire ce compte rendu, j'étais animé d'une double motivation. L'une est de nature sentimentale, puisque j'ai vécu en Nouvelle-Écosse l'équivalent de quatre années sur une période de huit ans (1950-1958) pour y effectuer des travaux d'observation sur la culture acadienne. Durant mon premier séjour, à l'été 1950, les Acadiens de toutes les catégories sociales m'avaient parlé de l'influence du père Sigogne sur la survivance d'une civilisation française au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. J'avais à son endroit un sentiment d'admiration sans toutefois le connaître vraiment. L'autre motivation découle donc d'une curiosité intellectuelle. Qui était cet homme, quelles furent les circonstances qui favorisèrent sa venue à Baie -Sainte-Marie, quel était le contexte économique, social et religieux au moment de son arrivée en pays acadien du début du dix-neuvième siècle, quelques années à peine après le « Grand dérangement », quelle était sa conception de son activité missionnaire dans ce coin de pays excentrique du Bas-Canada où existait une minorité catholique d'expression française rattachée à l'archidiocèse de Québec, comment a-t-il exercé ses fonctions de leadership auprès de ses ouailles comme auprès de milieux plus larges et, enfin, comment s'est-il senti par rapport à ses attaches européennes et à son apostolat nord-américain ? Dès la réception de l'ouvrage, l'expérience ethnographique des années cinquante a resurgi de ma mémoire car la photo de l'église de Saint-Jean-Baptiste de Corberrie apparaît sur la couverture, et c'est dans ce village d'arrière-pays que j'ai effectué ma première étude en Acadie, sur l'effet de l'évolution technologique de l'industrie forestière dans cette [156] communauté de l'hinterland. J'ai découvert que ma femme et moi avions vécu à la Pointe-de-l'Église dans le presbytère construit par le père Sigogne en 1820. Il y a de ces coïncidences qui laissent songeur!

Ainsi expliqués les motifs de ma démarche, je me sens prêt à amorcer mon évaluation. Disons, en tout premier lieu, que j'ai trouvé dans cette biographie l'essentiel des éléments apportant des réponses à mes questionnements. Je dis l'essentiel, car l'analyse ne va pas suffisamment au-delà des faits racontés ou encore ne dispose pas de l'ensemble des éléments nécessaires à l'éclaircissement de certaines situations et de certains événements. J'affirme, cependant, que l'auteur a effectué une reconstruction historique d'ensemble tout à fait remarquable, sachant toutes les difficultés rencontrées pour amasser les documents pertinents à l'œuvre de l'abbé Sigogne en France, en Angleterre et en Acadie. Mais étant donné l'aspect légendaire de la carrière de ce missionnaire polyvalent, le défi de mieux nous le faire connaître et de mieux nous faire comprendre le sens et la portée de ses pratiques, religieuses comme temporelles, valait la peine d'être relevé pour des raisons qui tiennent à la fois à l'absence de documents historiographiques sur la vie religieuse des Acadiens après leur retour en Acadie vers les années 1768 et à l'importance de l'action pastorale de ce fils d'adoption de l'Acadie.

L'ouvrage se divise en deux parties, soit la période européenne de l'apostolat du père Sigogne qui va de 1763 à 1799 et la période acadienne qui s'étend de son arrivée en 1799 à sa mort en 1844. La première occupe à peu près le tiers du volume tandis que la seconde en couvre les deux tiers : ce découpage traduit l'importance relative accordée à l'expérience européenne et parmi les Acadiens. C'est un équilibre qui se justifie si on tient compte de l'origine ethnique de son auteur (Gérald à Cyriac à Murray à Cyriac.... etc.) et du public auquel il est destiné. L'abbé Sigogne, familièrement nommé le père Sigogne, est né en Touraine (Beaulieu-lès-Loches) en 1763, donc à l'époque précise où le Canada, par le Traité de Paris, était cédé à l'Angleterre. Une fois ordonné prêtre en 1787, il exerce son ministère à Manthelan « en qualité d'adjoint au curé » de l'endroit. Peu après la Révolution française, « il refuse de prêter le serment à la Constitution civile du clergé » et, comme tous les autres religieux insermentés, est obligé de dispenser son apostolat dans la clandestinité. Les menaces à son endroit devenant de plus en plus directes et incessantes, comme beaucoup d'autres membres du clergé régulier, il n'a d'autre choix que de quitter son pays. Il avait pu exercer ouvertement son ministère jusqu'en 1791. Mais le Décret de la déportation des prêtres insermentés du 27 mai 1792 l'obligera, par la suite, à s'exiler en Angleterre. Cette décision de ne pas prêter serment causera de sérieux embarras à sa famille qui lui en tiendra rigueur pour toujours. Ainsi son père dut démissionner de sa fonction de maire, étant donné le statut d'ennemi de l'État de son fils, et perdit de ce fait des avantages monétaires importants. Sur son testament, il fit clairement entendre qu'un service funéraire civil lui suffirait, ce qui causera un profond chagrin chez le père Sigogne lorsqu'il l'apprendra.

Par le refus de prêter serment à l'autorité civile en place, s'affirmait déjà chez le père Sigogne le respect de ses engagements envers l'Église de Rome et la fermeté de son tempérament. Les sacrifices que lui imposera son exil en Angleterre à savoir une maigre pitance, l'absence de soutien moral et les vicissitudes de la vie en pays étranger, constituaient peut-être une préparation à ceux qu'il aurait à assumer quand viendrait le temps d'exercer ses fonctions pastorales en Amérique. L'Angleterre lui permit encore d'apprendre l'anglais (il devient parfait bilingue), d'exercer diverses formes de tutorat et d'assurer l'enseignement des langues (français, latin) et de la géographie auprès d'élèves privés, fort probablement pour [157] ajouter à ses faibles revenus et soutenir des oeuvres charitables, Voilà quelques-unes des expériences anglaises qui feront de l'abbé Sigogne un candidat de choix pour aller exercer son ministère auprès d'Acadiens de la Nouvelle-Écosse desservis depuis leur retour du «Grand Dérangement» par des prêtres irlandais qui obtenaient auprès d'eux peu de succès puisqu'ils ne connaissaient pas leur langue. Les Acadiens avaient d'ailleurs fait parvenir des requêtes à Québec et à Londres pour qu'on leur envoie un prêtre qui pourrait s'adresser à eux dans leur langue maternelle. Finalement Mgr Denaut, l'évêque de Québec, acquiesça à leurs demandes répétées et permit à l'abbé Sigogne de venir à Baie-Sainte-Marie (Pointe-de-l'Église) et à Cap-Sable (Sainte-Anne-du-Ruisseau) pour prendre charge de deux paroisses de son diocèse.

L'auteur construit son analyse de la période acadienne du père Sigogne en ayant soin de présenter une histoire succincte des Acadiens, d'établir un profil de leur caractère et de leurs mœurs, de définir la situation des Acadiens et de l'Église acadienne en 1799 avec l'intention de mieux caractériser l'activité pastorale de Sigogne par le biais de ses positions théologiques et de l'influence qu'il exerça sur le peuple dont il avait la charge. Cette contextualisation historique et socioculturelle nous apparaît tout à fait fondamentale pour comprendre d'une part les nombreux besoins spirituels et temporels de deux cents familles dispersées sur un vaste territoire (une soixantaine de kilomètres) et les stratégies comme les pratiques du père Sigogne pour asseoir l'Église de l'Acadie sur des bases théologiques, pastorales, administratives et territoriales solides.

Mgr Denaut avait pris soin de bien informer l'abbé de la situation précaire dans la partie excentrique de son diocèse et du tempérament difficile de ses paroissiens (querelleurs, entêtés, procéduriers, entre autres). Le père Sigogne lui-même, de son propre jugement, était enclin à signaler les défauts ainsi que les négligences chrétiennes de ses paroissiens plutôt que de témoigner de leurs qualités, bien qu'à l'occasion il fasse mention de ces dernières. Il est facile de comprendre pourquoi des familles laissées à elles-mêmes sur le plan religieux, ou desservies sporadiquement, n'aient pas représenté, aux yeux de ce pasteur d'âmes, des modèles de vertu chrétienne et de piété. Souventes fois, dans ses sermons, il a déploré leur ignorance qui, selon lui, expliquait la faiblesse de leur foi, l'indifférence à propos de leur salut et leur dérive vers le péché et la perdition de leur âme. La pastorale du père se bâtira sur la peur (de la damnation). Il eût été intéressant, me semble-t-il, que cette partie de l'exposé de M. Boudreau nous identifie avec plus de netteté les composantes de cette théologie de la peur dont les exhortations et l'écho se sont perpétués, au Québec en tout cas, jusqu'aux premiers jours de la Révolution tranquille. On aurait, sans doute, mieux compris l'acharnement du père et quelques-unes des réactions d'indifférence de ses paroissiens. À ce point de vue, l'abbé Sigogne mentionne quatre univers où «les mœurs laissent à désirer», soit «la consommation d'alcool, les veillées libertines, les fréquentations mixtes ou l'impudicité et les vices de la chair».

La situation de l'Église du Canada en terre acadienne, au tournant du XIXe siècle, est également précaire sur le plan économique. Les familles sont peu nombreuses, dispersées dans de petites agglomérations et de statut économique modeste (production exclusive de biens en vue de l'autarcie), ce qui rend les conditions de vie du père Sigogne aléatoires. Il existe bien des églises et des presbytères à Sainte-Marie et à Sainte-Anne-du-Ruisseau, mais ils doivent être rebâtis. Quant aux biens sacrés, nécessaires aux rituels religieux, ils sont insuffisants et de piètre qualité. La liberté religieuse existe, mais en autant qu'on respecte les législations de l'autorité civile anglaise. D'ailleurs, contrairement aux missionnaires venus de [158] France qui exercèrent leur ministère en Acadie avant la Conquête et qui s'identifiaient aux traditions françaises, l'abbé Sigogne, à l'instar du haut clergé canadien d'expression française, prêchait la soumission à l'autorité civile anglaise comme étant la seule légitime. Cette position idéologique se comprend bien à la lumière de la reconnaissance que l'abbé Sigogne vouait à l'Angleterre, cette patrie d'adoption qui l'avait accueilli après son départ précipité de France en 1792.

L'abbé Sigogne ne fut pas seulement un missionnaire entièrement consacré à son apostolat ecclésiastique et au salut des âmes. Il fut aussi un bâtisseur d'églises et de paroisses (douze édifices durant son séjour), un administrateur d'une grande compétence qui consignait ses faits et gestes dans leurs moindres détails (registres, sermons, journal de voyage, lettres). Il instituait des règles de comportement dans les lieux saints (présence de laïcs dans le sanctuaire, séparation des femmes et des hommes dans l'église), énonçait des règlements quant au soutien du prêtre et à l'entretien, choisissait l'emplacement des églises et nommait les marguilliers. Dans le domaine de l'éducation, son action prit une envergure exceptionnelle. Il fut également juge de paix comme en témoignent de nombreux documents officiels (ventes et contrats) où apparaît sa signature. Son influence sur les hommes politiques (en particulier Haliburton dans son plaidoyer de 1827 à l'Assemblée législative d'Halifax pour l'abolition du Serment du Test) ne fut pas non plus négligeable. Ne voit-on pas dans cet éventail de fonctions religieuses et temporelles les expressions d'une conception du rôle du prêtre dans un pays où tout est à bâtir, à définir et instruire et à orienter? Cette conception du magistère du pasteur paroissial se perpétuera en Acadie du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse jusqu'au milieu du vingtième siècle.

La période acadienne de l'action missionnaire du père Sigogne s'échelonne sur près d'un demi-siècle durant lequel il s'évertuera à redresser les mœurs des Acadiens par une prédication et une pastorale extrêmement austères, dirions-nous aujourd'hui. Il instituait des règlements pour combattre les excès (la danse), menaçait, sous des prétextes plus ou moins désavouables, ses ouailles d'excommunication pour leur imposer sa volonté, nommait en chaire ceux qui passaient outre à des interdictions expresses et refusait l'entrée à l'église à ceux qui dérogeaient à leurs obligations de catholiques (mariage devant un ministère protestant, non-assistance au catéchisme).

Bien qu'il soit difficile de dissocier l'action pastorale de l'abbé Sigogne des autres composantes de son univers de vie, il n'en demeure pas moins qu'elle tient indubitablement une position centrale. Aussi l'auteur accorde à sa théologie et à l'impact qu'elle eut sur les Acadiens une place de choix en traitant de sa conception de Dieu et de l'Église, telles que celles-ci se reflètent dans sa prédication, ses règlements et ses écrits. Bien qu'elle soit diffuse dans ses sermons, on retrouve tout de même une représentation d'un Dieu bon, saint, tout-puissant et juste, donc un Dieu qui récompense à leur mérite les bonnes actions. Mais sont surtout mis en relief les attributs d'un Dieu vengeur qui punit et sanctionne négativement ceux qui ne respectent pas à la lettre les Commandements de l'Église. Il n'y a pas de châtiment qui ne fasse l'objet de commentaires reliés aux manquements graves qui les ont suscités (infidélité, impiété, incrédulité, corruption, frivolité, etc.).

Quant aux enseignements sur l'Église, ils ressemblent à ceux des prédications d'aujourd'hui, l'Église du Christ étant conçue comme une grande famille (c'est une terminologie qui correspond ici à une réalité généalogique) vivante et militante, intégrée à la Communion des saints «qui transcende les temps historiques». Le père affirme très [159] clairement que c'est au nom de cette Église et de tous ceux qui en font partie (les papes, les évêques, les missionnaires, les prêtres) et non en son nom propre qu'il expose les «Fondements de la foi catholique et les motifs d'attachement à l'Église» (Sermon apologétique de 1807).

Sans aller jusqu'à prétendre que cet ouvrage représente l'œuvre définitive sur le père Sigogne, elle est sûrement celle qui intègre l'ensemble des données disponibles selon une variété de sources recensées ici (sources manuscrites, sources imprimées, journaux, dictionnaires, guides et encyclopédies, ouvrages généraux, ouvrages spéciaux, articles et études) dans une visée critique que je qualifierais de modérée. Le père Sigogne est une des figures dominantes de l'histoire acadienne. Son «zèle apostolique», son «engagement pastoral » et son action sociale sont largement exposés dans cette étude et justifient en quelque sorte, grâce aux patientes et méticuleuses recherches de M. Boudreau son titre de « chef providentiel, sauveur du peuple acadien ».


Marc-Adélard TREMBLAY

Département d'anthropologie,
Université Laval.



Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le jeudi 27 octobre 2011 13:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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