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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Yannick Villedieu, “Les médias et le débat public.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de  Marcel J. Mélançon et Raymond D. Lambert, LE GÉNOME HUMAIN. Une responsabilité scientifique et sociale. Chapitre 9, pp. 115-120. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1992, 177 pp. [Autorisation formelle accordée par Marcel J. Mélançon le 15 juillet 2005 et réitérée le 30 mars 2012 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[115]

LE GÉNOME HUMAIN.
Une responsabilité scientifique et sociale.

Les médias et le débat public.”

Yanick Villedieu


Commençons par un constat : il n'y a pas - pas encore à tout le moins - de débat public sur le projet de cartographie et de séquençage du génome humain. Il n'y a pas de débat public parce que les médias de masse, aussi bien écrits qu'électroniques, ne sont pas encore « tombés » sur le sujet. Les journalistes n'ont pas encore « vu » qu'il y a là matière à bon « topo » ou à reportage consistant. Les médias, donc, ne sont pas «  sur le coup » et, la chose est bien connue, pas de médias, pas de débat ! A côté du sida, de l'effet de serre et de la navette spatiale américaine (pour ne prendre que des sujets à saveur scientifique), le projet Génome humain fait, si j'ose dire, figure d'inconnu - ou presque, puisque à ma connaissance, à Radio-Canada par exemple, seules deux émissions scientifiques (radio et télévision) ont traité à l'occasion de cette question.

Et pourtant, de la cartographie et du séquençage de gènes humains, il s'en fait, et beaucoup, un peu partout dans le monde occidental. Et pourtant, le projet Génome humain, que d'aucuns ont appelé « le projet Apollo de la biologie », est bel et bien lancé. La carte du génome humain se dessine et se précise à toute allure : selon un des chefs de file du domaine, le docteur Victor McKusick (cité par Science), on localise environ une douzaine de nouveaux gènes par semaine sur l'un ou l'autre des 46 chromosomes humains. Toujours selon McKusick, 1 884 gènes avaient été localisés en date du 10 septembre dernier, il y a huit mois et demi. Si les chercheurs ont maintenu la cadence d'une douzaine [116] de nouveaux gènes par semaine, on doit aujourd'hui avoir cartographié 2 300 gènes humains - sans compter plusieurs milliers de morceaux d'ADN (acide désoxyribonucléique) « signifi­catifs ». Et tout laisse croire, compte tenu de l'accélération prodigieuse des techniques et des efforts, qu'on aura localisé les 50 000 à 100 000 gènes qui forment notre bagage génétique d'ici l'année 2005, dans moins de quinze ans !


LES MÉDIAS NE SONT PAS (ENCORE)
AU RENDEZ-VOUS


Alors pourquoi ce silence des médias ? Sans tomber dans l'auto-flagellation mais au risque de sombrer dans les lieux communs, je rappellerai d'abord que, dans les médias, nous sommes scientifiquement incultes. Écrivains inavoués, politiciens aux mains éternellement propres, athlètes du micro et du crayon, nous sommes tout, sauf gourmands de la chose scientifique ou même seulement perméables à l'esprit de la science. J'exagère, mais à peine : il n'y a pas 25 journalistes qui « couvrent » la science et la médecine à temps plein au Québec ; et excepté quelques pages et émissions spécialisées, l'information scientifique est, règle générale, absente ou traitée en parent pauvre par nos médias.

Il faut également reconnaître, à la décharge des médias cette fois, que la génétique de pointe en général, et le travail sur le génome humain en particulier, sont des sujets passablement durs à avaler. Un « RFLP » (c'est déjà toute une acrobatie que de savoir que cet acronyme se prononce « riflip »), une « marche » sur le chromosome, un « locus », le « polymorphisme » : avouons que pour le profane, ce vocabulaire spécialisé est au moins aussi déroutant que le langage du base-ball pour un non-Nord-Américain moyen... D'autant plus - et les scientifiques doivent le savoir quand ils s'adressent à des journalistes - que même les notions de base de la génétique (le chromosome, le gène, le quasi-dogme « un gène, une protéine », etc.) sont la plupart du temps absentes de la culture générale des citoyens et des journalistes d'aujourd'hui.

Une autre explication du silence des médias sur le projet Génome humain, c'est l'aspect fiction de cette science qui n'est pas encore véritablement sortie des laboratoires. Bien sûr, la découverte de certains gènes « à intérêt médical » fait parfois la manchette, comme ce fut le cas avec le gène de la fibrose kystique. Bien sûr, certaines curiosités piquent l'intérêt des médias, comme ces quelques gènes de l'odorat récemment découverts et qui ont donné à nos quotidiens, l'espace d'un matin, un discret parfum de science. Mais en général, ces nouvelles ne sont pas mises en perspective, ne montrent pas à quel point ces découvertes [117] font partie d'un vaste effort international qui vise à repousser les limites du savoir et du pouvoir humains sur l'humain.

En général, donc, ces nouvelles sont présentées bien plus comme des anecdotes que sous la forme d'informations porteuses de sens, de faits révélateurs de tendances lourdes, bref, d'événements susceptibles de changer en profondeur nos sociétés.


LE PREMIER DEVOIR DES MÉDIAS :
INFORMER


Cela dit, quel rôle les médias peuvent-ils jouer dans la venue et la tenue d'un débat public sur la cartographie et le séquençage du génome humain ? Ou plutôt, comment doivent-ils tenir le rôle essentiel qui est le leur, puisque sans eux, il n'y aurait pas de débat véritablement public ?

Leur première tâche, je dirais même leur premier devoir, c'est d'informer, de donner à leurs publics respectifs les éléments factuels du dossier. Qu'est-ce qu'un gène ? Qu'est-ce qu'un chromosome. ? Qu'est-ce qu'une caractéristique physique ou une maladie héréditaires ? Pourquoi et comment cherche-t-on à dresser la carte de tous nos gènes ? Quelles informations fondamentales et quelles applications tirera-t-on de ce coûteux exercice ? Ces quelques questions donnent une idée de l'ampleur du travail d'information qui attend les médias. Mais elles nous font aussi prendre conscience que les médias ne pourront sans doute pas tout faire : ils ne peuvent et ne veulent remplacer l'école, qui devrait avoir fait son bout de chemin dans la formation générale - ce qui inclut la science - des futurs consommateurs d'information.

Sans donc « faire l'école » ni « jouer au professeur », le journaliste devra prendre son bâton de vulgarisateur pour donner non pas à voir, mais à comprendre, pour décrire, expliquer, raconter ce qui se passe et se trame à la paillasse et sur les claviers d'ordinateurs des laboratoires de recherche. Et il devra le faire en évitant deux écueils : celui de l'émerveillement naïf et inconditionnel, et celui de la crainte irrationnelle.

Jouer la carte du merveilleux scientifique, comme on l'a fait par exemple pendant les quelques années qui ont suivi la naissance du premier bébé-éprouvette en 1978, c'est tomber dans le scientisme, dans le triomphalisme technologique. C'est donner carte blanche à la science et au système qui la produit, l'oriente et, ultimement, la commercialise. C'est, surtout, remettre entre les mains de ceux qui savent, les « savants » comme on disait autrefois, le pouvoir de décider ce qui est bon et bien pour ceux qui ne savent pas. Or, l'expérience a montré et continue de montrer que la conscience ne jaillit pas spontanément de la science. Et [118] qu'il y a toujours un risque à laisser la bride sur le cou des scientifiques, parce que ces chevaux-là courent vite et dans toutes les directions - surtout que, toute référence à la génétique mise à part, la plupart galopent de nos jours comme de véritables pur-sang.

L’autre écueil qui guette les médias est celui de la crainte irrationnelle. Dites le mot « génétique », et on vous répond à tout coup « manipulation ». Comme on répond « pollution » au mot « chimie ». « Bombe » ou « cancer » au mot « nucléaire ». Après les déconvenues des années soixante-dix - après, en gros, qu'on se soit rendu compte que la science ne réglerait pas tous les problèmes de l'espèce humaine et de la planète Terre en deux temps, trois mouvements -, on est entré dans une ère de méfiance à l'endroit de la science et de la technologie. Un certain discours « vert », par exemple, s'appuie sur cette méfiance, sur ces vieux réflexes anti-science qui restent solidement ancrés dans nos sociétés pourtant profondément imprégnées de science et de technologie. Inutile de préciser que l'exploration du bagage génétique humain et les possibilités d'intervention qui en découlent peuvent facilement servir à « faire peur au monde » : même s'il appartient au domaine de la science-fiction, le spectre du clonage et du Meilleur des mondes reste un épouvantail qu'on peut agiter avec beaucoup d'efficacité.

C'est donc entre ces deux extrêmes, la confiance et la méfiance inconditionnelles, que les journalistes doivent naviguer. Ce qui implique, de la part des scientifiques, des attitudes qu'ils n'ont pas toujours, ou pas spontanément en tout cas. Les scientifiques doivent par exemple admettre que la vérité ne réside pas tout entière dans leurs seules éprouvettes. Que ce qui se passe entre les quatre murs souvent sans fenêtres de leurs laboratoires n'épuise pas la réalité du vaste monde. Que des profanes ont le droit de les questionner, et que ces questions, pour être pertinentes, peuvent et doivent être parfois impertinentes.

Il est sûr qu'un livre comme celui-ci, édité par un philosophe et par un scientifique, montre que les temps et le ton changent dans les laboratoires. Qu'il y a, comme on dit, une « prise de conscience » chez les scientifiques dont plusieurs se sont engagés ou vont s'engager dans ce Mouvement universel de la responsabilité scientifique qui inspire en partie ce volume. Mais il est sûr aussi que le gros bulldozer de la science avance envers et contre tout, mû par son seul moteur, par sa seule logique qui est, justement, d'avancer.

[119]

LES MÉDIAS PEUVENT-ILS LANCER
LE DÉBAT PUBLIC ?


Nous parlions information. Nous voici déjà parlant débat. L'un et l'autre, de fait, ne se distinguent que pour la commodité - quoique les médias tiennent souvent à faire cette distinction et ne tiennent pas à lancer, à créer les débats publics.

Cette première remarque me porte à penser qu'il y aura débat public sur la cartographie et le séquençage du génome humain si, en dehors des médias, des organismes et des individus prennent l'initiative de lancer et d'alimenter la discussion. On a vu comment le refus d'un biologiste français d'aller trop loin en matière de bébés-éprouvettes a mis le problème sur la place publique. On a aussi vu, au Québec, comment l'intervention du Conseil du statut de la femme sur les nouvelles technologies de la reproduction a pu nourrir la discussion sur cette question. Le Conseil, c'est vrai, n'a pas à proprement parler lancé le débat, mais il lui a donné, si je puis me permettre, du corps.

En fait, la question qui nous préoccupe est un beau cas d'EST, d'évaluation sociale des technologies. Cette nouvelle discipline universitaire a commencé de faire ses preuves dans les domaines de l'environnement, de la production et de la consommation d'énergie, des technologies de la reproduction, des évaluations coûts-bénéfices de certaines procédures médicales (curatives aussi bien que préventives), de l'informatisation du travail, de la protection de la vie privée dans des sociétés de plus en plus sophistiquées techniquement parlant. L'EST, avec ses outils, ses méthodes, ses moyens, devrait donc s'attaquer aussi à ce vaste dossier du génome humain et à ses retombées possibles - souhaitables ou à redouter.

Mais loin de moi d'idée de mettre toute la responsabilité du débat sur les épaules des seuls universitaires voués à la réflexion sur la science et la société. Les milieux scientifiques devraient ouvrir leur jeu, chercher à parler au public, rencontrer la presse, et pas seulement la presse spécialisée. Certaines associations et sociétés médicales (du cœur, du cancer) ont pris l'habitude d'organiser des séminaires à l'intention des médias, des rencontres de travail qui durent une ou deux journées, plus longtemps donc que les conférences de presse centrées sur l'annonce d'une nouvelle. Quelle association, société ou organisme de recherche voudra bien organiser de tels séminaires ? Une université, un centre de recherche, un conseil de recherches ? La réponse n'appartient pas aux médias.

[120]

Ce qui appartient aux médias, cependant, c'est de s'intéresser au dossier, de le « couvrir » comme on dit dans le jargon du métier. J'ai dit il y a un instant que les médias ne sont pas spontanément enclins à lancer ce genre de débats. Mais je crois aussi qu'ils ont une responsabilité sociale de suivre, ou mieux de précéder les grandes questions qui se posent ou se poseront aux gens qu'ils desservent - et nul doute que la génétique moderne est une de ces grandes questions.

Je suis persuadé, donc, que les médias devraient et pourraient aller de l'avant sur le sujet qui nous occupe. Et que les journalistes devraient et pourraient pousser un peu à la roue si le chariot de leur journal ou de leur station est lent à démarrer. Après tout, il y a plusieurs bons sujets à sortir dans ce domaine, notamment en génétique médicale - et il n'est pas impossible de « vendre » un bon sujet à un rédacteur en chef, si imbu soit-il de belles-lettres et de science politique !

Mais, connaissant les médias et les journalistes, je peux quand même vous dire, à vous les scientifiques, les éthiciens, les juristes, les philosophes intéressés à ce débat, je peux vous dire que rien n'aide tant l'initiative des journalistes que l'initiative des non-journalistes. Nous aimons être les premiers à parler d'un sujet, mais nous ne pensons malheureusement pas toujours à le faire...



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 14:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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