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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Daniel Latouche, “La Cour suprême et le nouvel ordre juridique canadien.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Alain G. Gagnon et Daniel Turp, Révérendum, 26 octobre 1992. Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales, pp. 121-128. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1992, 225 pp. [Autorisation de M. Alain Gagnon accordée le 20 décembre 2018.]

[121]

Référendum, 26 octobre 1992.
Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales.
Deuxième partie : Les points saillants du projet d’entente du 28 août 1992

La Cour suprême et
le nouvel ordre juridique canadien
.”

Daniel Latouche

Daniel Latouche est professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique. De 1970 à 1987, il a enseigné à l’Université McGill. Il a été conseiller constitutionnel auprès du Premier Ministre du Québec de 1978 à 1980. Il est l’auteur et le co-auteur de plusieurs ouvrages, dont Allaire, Bélanger, Campeau et les autres (1991) et Le virage (1992).


Au chapitre du partage des pouvoirs, comme à plusieurs autres, un document constitutionnel ne saurait tout prévoir. Tenter d'y arriver ne ferait qu’empirer la situation. Les conflits sont inévitables. Ils sont même souhaitables car ces différences d’opinion, et surtout leur résolution, non seulement poussent le jeu démocratique à donner sa pleine mesure mais de plus elles font avancer les choses en permettant au droit constitutionnel de s’adapter à une réalité changeante.

C’est ici qu’intervient le système juridique dont l’une des fonctions est non seulement d’arbitrer ces conflits, mais de permettre à l’ensemble des acteurs du processus politique, les gouvernements, les groupes et les individus, de coexister pacifiquement tout en s’assurant qu’on ne cesse d’améliorer les règles et les mécanismes qui gouvernent la vie collective.

Voyons ce que l’Accord d’Harrington-Charlottetown dit à ce sujet. Comme cet accord ne concerne plus exclusivement la place du Québec dans le régime fédéral, une telle évaluation doit dépasser la seule perspective québécoise. On doit s’attendre à ce que d'autres considérations que les simples préoccupations québécoises soient reflétées dans le texte.

Les tribunaux et le système judiciaire
au Canada


Contrairement à une image fort répandue et à une certaine obsession pour les « tours », celles qui penchent toujours du même côté et les autres, la Cour suprême n’est pas le seul tribunal qui intervient en matière constitutionnelle. Le droit et la jurisprudence sont élaborés au jour le jour grâce à des centaines de décisions dont seul un nombre restreint sont le produit [122] du plus haut tribunal du pays. Il faut certes accorder une grande importance à ce que les propositions du 28 août disent au chapitre de la Cour suprême, mais il faut aussi regarder l’ensemble de l’appareil judiciaire.

Depuis longtemps, le Québec demande que l’on fasse le ménage dans les institutions judiciaires du pays afin de mettre un terme aux dédoublements, aux contradictions et aux incongruités. De plus, le Québec a connu au chapitre des tribunaux spécialisés une certaine effervescence au cours des dernières années, effervescence qu’il aurait bien voulu voir reconnaître dans la Constitution du pays. Finalement, l’importance qu’a prise au Québec la notion de droits collectifs - et les contestations qu’a connues cette notion - a conduit plusieurs juristes à demander que le système judiciaire québécois acquiert non seulement une plus grande autonomie et une plus grande cohérence, mais qu’il puisse s’appuyer sur un document constitutionnel propre au Québec, ce qui confirmerait la souveraineté juridique du Québec, du moins dans les sphères de sa compétence.

Que retrouve-t-on à ce sujet dans l’accord du 28 août ? Rien. Les offres fédérales passent complètement sous silence le système judiciaire canadien pour se concentrer uniquement sur la Cour suprême. Il est simplement fait état en appendice que la question de la nomination des juges a été discutée, mais qu’on a décidé de ne pas « en poursuivre l’étude ». Pourtant, il s’agit là non seulement d’une demande traditionnelle du Québec, mais d’une situation que Gil Rémillard a par le passé qualifiée « d’embarrassante ». En effet, c’est Ottawa qui continue de nommer les juges des tribunaux les plus importants.

On aurait pu s’attendre tout au moins à ce que cette question fasse l’objet d’un accord politique au même titre que les forêts. Après tout, la question de la nomination des juges n’est pas d’une grande complexité et n’implique aucun régime de compensation financière.

La souveraineté juridique du Québec

Au moment des négociations constitutionnelles de 1978-1979, Ottawa et Québec étaient tombés d’accord sur l’utilité de « québéciser » les questions relatives au mariage, au divorce et aux faillites personnelles. La négociation avait pris dix minutes et seul le contexte politique de l’époque avait empêché que l’on procède au moins à cet amendement.

Ces questions sont souvent revenues à l’avant-scène depuis et bon nombre de comités les ont montrées du doigt comme étant précisément le genre de compétences susceptibles d’être « retournées » aux provinces. [123] On constate maintenant que l’unanimité n’existe plus et ces trois sujets se retrouvent dans les limbes constitutionnelles, c’est-à-dire dans ce groupe de questions qui « ont été discutées », mais dont on a décidé « de ne pas poursuivre l’étude ». Qu’est-ce qui a bien pu se produire pour que des questions en apparence non controversées et sur lesquelles Ottawa et Québec, Pierre Trudeau et René Lévesque se sont toujours entendus disparaissent ainsi du tableau.

Si on suppose que Québec a continué de demander ces pouvoirs - ce qui n’est pas du tout certain - et que Québec et Ottawa avaient tout intérêt à gonfler le nombre de domaines législatifs sur lesquels il y avait entente de dévolution en faveur du Québec, alors on comprend mal pourquoi le divorce et le mariage n’auraient pas été inclus dans la liste s’il y avait eu accord à leur sujet.

C'est donc que d’autres provinces ou que les Autochtones ont émis des réserves assez sérieuses pour que ces questions soient exclues de l’entente. Cette opposition et le fait que le front commun Québec-Ottawa n’ait pas réussi à la surmonter sont révélateurs de la position d'extrême faiblesse dans laquelle Québec s’est retrouvé lors de ces ultimes séances de négociation.

Mais peu importe les raisons, les résultats sont là. Au chapitre de l’autonomie et du développement de son système juridique, Québec n’a rien obtenu. Il a même perdu passablement de points par rapport à ce qu’il avait acquis depuis Meech.

De fait, cette interprétation est à ce point impensable et déprimante qu’il faut envisager une autre explication. Une entente de principe serait effectivement intervenue et elle inclurait les pêches intérieures, un autre « pouvoir » qu’Ottawa, est prêt depuis longtemps à laisser aller aux provinces. On a simplement choisi de le garder en réserve pour une autre ronde de négociations. Dans un tel cas, trois nouvelles ententes permettraient de démontrer que le processus de négociation est bien engagé et que les sceptiques n’ont qu’à se rhabiller.

La Cour suprême

Reste la Cour suprême comme telle. Depuis 30 ans, les juristes, les spécialistes et même les partis politiques ont dépensé beaucoup d’énergie et fait preuve de passablement d’imagination pour remodeler la Cour suprême afin d’en faire une institution plus efficace et surtout plus légitime. L’objectif est d’en finir une fois pour toutes avec ces allusions à un passé qui penche. Ce remodelage est d’autant plus important que la complexité [124] et l’imprécision volontaire des changements que l’on veut apporter à la Constitution vont requérir énormément de doigté et de compétence juridique. Sur ce point, tout le monde est d’accord.

Or que disent les propositions du 28 août ? Pas grand chose et beaucoup de choses à la fois. L’article 17 indique d’abord que la Constitution devrait faire mention de la Cour suprême qui serait ainsi reconnue comme la « cour générale d’appel du pays ». En apparence, il n’y a là rien de bien surprenant. Mais cela veut aussi dire qu’on abandonne définitivement toute idée de se donner un tribunal constitutionnel spécialisé. L’article suivant prévoit que la Cour sera composée de neuf membres, dont trois devront être inscrits au Barreau du Québec et donc être familiers avec le droit civil. Cela reprend la proposition de Meech, mais il s’agit d’une proposition inférieure à celle du premier ministre Trudeau en 1978 (4 sur 11) et à la suggestion du rapport Pepin-Robarts (5 sur 11).

Le chiffre de trois sur neuf est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, il officialise définitivement le statut du Québec comme minorité juridique et il cantonne notre différence au Code civil, code civil qui est lui-même de moins en moins différent de la Common law. Ensuite, il confirme de nouveau le besoin de protection des Québécois tout en reconnaissant que les juges canadiens de la Cour sont soit incapables de comprendre les causes impliquant le droit civil, soit animés de mauvaises intentions à l’égard de l’autre tradition juridique.

Le caractère ethnique et tribaliste de cette clause surprend, surtout qu’elle s’applique à la justice et au droit. Il est cependant tout à fait conforme à la tendance ethniciste de l’ensemble du document et aux mentions qu’on y retrouve du Québec. Est-ce un effet du hasard, mais chacune des trois présences du Québec dans ce document est associée tantôt à des caractéristiques ethniques (une société distincte par sa langue, sa culture et son Code civil), tantôt à des quotas (de députés ou de juges). Rarement une Constitution n’aura-t-elle compris autant de béquilles.

Vient ensuite un article, que l’on trouvait aussi dans Meech, prévoyant que le gouvernement fédéral nommera les juges à partir de listes soumises par les provinces et les territoires. Contrairement à ce qu’on laisse souvent entendre, rien n’assure que les juges de tradition civiliste, ceux qu’on appelle à tort les « juges du Québec » seront nommés à partir de listes soumises par le gouvernement du Québec. En effet, si le gouvernement fédéral est insatisfait du choix que lui propose le gouvernement du Québec, rien ne l’empêche de nommer des juges dont le nom se trouvera sur une liste soumise par l’Ontario ou l’Île-du-Prince-Édouard. Il [125] s’agit pour l’instant d’un recul crucial par rapport à Meech qui au moins précisait que c’est le gouvernement du Québec qui présentait sa liste de noms au gouvernement fédéral. Il semble qu’Ottawa et les autres provinces ont été convaincus par les arguments du professeur Stephen Scott, celui-là même qui a suggéré que l’aviation canadienne pilonne les barrages d’Hydro-Québec, et qui, en des temps moins militaires, avait proposé d’abolir cette clause puisqu’elle donnait un avantage indu au Québec (dans L’adhésion du Québec à l’Accord du Lac Meech, Montréal, Éditions Thémis, 1988).

De plus, le gouvernement fédéral se réserve cette fois le droit de nommer des juges intérimaires s’il n’apprécie pas les noms qui lui sont soumis par les provinces. Or il n’y a rien de plus permanent que de telles nominations. De toute évidence, le gouvernement fédéral a voulu se prémunir contre un éventuel gouvernement du Parti québécois, ou contre tout autre gouvernement provincial qu’il jugerait inacceptable, en annonçant à l’avance qu’il ne nommera pas des juges trop favorables aux droits des provinces. Richard Nixon et Ronald Reagan auraient bien aimé cette disposition.

Il est un autre changement important par rapport à Meech et qui n’a guère retenu l’attention des spécialistes, c’est celui des modifications éventuelles à la Cour suprême. L’entente de 1987 exigeait le consentement unanime des provinces pour que l’on modifie les dispositions relatives à la Cour suprême. C’était aussi le cas pour le statut monarchique du Canada, les pouvoirs du Sénat, le principe de la représentation proportionnelle, etc. Cette disposition est là depuis 1982. Ce ne sera plus entièrement le cas pour la Cour suprême.

Assez curieusement, il n’est pas fait mention spécifiquement de cette disposition au premier paragraphe de l’article 57, celui qui précise les conditions par lesquelles il sera possible dans l’avenir de modifier les institutions dites « nationales ». Le Sénat et la Chambre des communes sont encore du nombre et un nouvel article prévoit les conditions de création de nouvelles provinces, mais pas un mot sur la Cour suprême. Est-ce un simple oubli ? Est-ce le signal que la Cour suprême n’est plus une institution « nationale » et qu’on pourra la modifier à sa guise ?

La réponse se trouve au deuxième paragraphe de cet article où l’on apprend que pour ce qui est du processus de nomination des juges, l’unanimité ne sera plus requise. Elle continuera cependant de l’être pour ce qui est de l’enchâssement, de la vocation et de la composition de la Cour. Ainsi donc le Québec pourra accepter toute proposition de changement quant à « son » nombre de juges. Il n’est cependant pas question de veto [126] pour ce qui est du processus de consultation des provinces. De toute évidence, on nous informe que d’autres changements s’en viennent en ce qui concerne la Cour suprême, changements qui pourraient se faire sans le consentement du Québec.

L’article suivant apporte aussi un autre élément de réponse. Cet article 20 annonce qu’il y aura un accord politique précisant la place des Autochtones dans le fonctionnement de la Cour suprême. Comme dans le cas de toutes les références à ces fameux accords politiques, on ne nous dit pas si un accord a été effectivement conclu et est gardé secret, ou s’il reste à négocier. On nous annonce cependant qu’éventuellement on discutera de la possibilité de donner aux Autochtones une représentation à la Cour suprême ou même que la Cour suprême des Autochtones, le Conseil des Aînés, soit associée aux délibérations de l’autre Cour suprême, celle des deux autres ordres de gouvernement. En attendant, les provinces devront consulter et vraisemblablement inclure des Autochtones sur leurs listes de noms soumises au gouvernement fédéral qui continue aussi de se réserver le droit de nommer directement des Autochtones à la Cour suprême après consultation des peuples autochtones.

Ces portes ouvertes sur d’éventuelles modifications à la Cour sont fort intéressantes. À moins d’être accompagnée d’une augmentation du nombre déjugés de tradition civiliste, toute nomination additionnelle à la Cour suprême, d’un ou de plusieurs juges autochtones, ne pourra se faire qu’en entraînant une réduction du pourcentage déjugés civilistes. S’il est un plancher qui risque de sauter rapidement, c’est bien celui des trois juges sur neuf. Trois juges sur douze serait un pourcentage plus réaliste et certainement conforme au pourcentage magique de 25% qui est celui de la représentation assurée du Québec à la Chambre des communes. Peut-être choisira-t-on de forcer les provinces à inclure au moins un Autochtone sur leur liste de candidats et on comprend maintenant pourquoi Ottawa s’est réservé le dernier mot en matière de nomination, entre autres par le mécanisme des juges temporaires. Il veut pouvoir nommer des représentants autochtones à la Cour suprême.

Il n’y a rien à redire à cette arrivée des Autochtones au sommet de la hiérarchie judiciaire du pays. Dans la mesure où on les reconnaît comme un des trois ordres de gouvernement, il est normal et même essentiel qu’on les retrouve partout dans les institutions du pays. Il en découle de cette reconnaissance qu’il est impératif que l’on refasse au pays un visage institutionnel qui tienne compte de cette réalité. Le contraire frôlerait l’indécence.

[127]

Cette « arrivée » en masse des Autochtones appelle cependant quelques réflexions non pas sur l’à-propos d’une telle reconnaissance juridique, mais sur ce qu’elle nous apprend du régime politique canadien.

Notons tout d’abord que ce chambardement prouve hors de tout doute qu’il est possible et même relativement facile de faire un grand ménage dans les institutions politiques canadiennes. Il aura suffi de quelques jours pour créer un troisième ordre de gouvernement au Canada. Ce n’est pas rien. Quand on pense aux difficultés qui sont sans cesse évoquées lorsque vient le temps de demander que l’on refasse ces institutions pour refléter la présence du Québec, il y a de quoi sourire.

Deuxièmement, les gains faits par les Autochtones au chapitre de la Cour suprême, des gains sur lesquels leurs demandes n’étaient pas à ce point insistantes, correspondent à peu près aux espoirs que le Québec a toujours eus pour lui-même à ce chapitre. Dorénavant sur le plan juridique, il sera relativement facile de répondre à la question What does Quebec want ? What the Natives got ! À ce sujet, l’un des exercices les plus révélateurs consiste à relire les propositions fédérales en lisant le mot Québec à chaque fois qu’on y trouve celui de peuples aborigènes.

Finalement, on doit se poser des questions sur certains emprunts à l’apartheid judiciaire que l’on retrouve, en germe tout au moins, dans ces articles sur la Cour suprême et dans plusieurs autres disséminés ici et là dans l’accord du 28 août. L’idée de reconnaître officiellement la Cour des Aînés autochtone comme un tribunal suprême fonctionnant en parallèle et ayant le droit d’être consulté par la Cour suprême des Blancs a des relents de paternalisme et de separate but equal et crée un malaise certain.

[128]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 14 septembre 2021 18:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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