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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Francine Saillant, “Discours, savoir, expérience du cancer: un récit de vie”. Un article publié dans la revue Santé mentale au Québec, 1987, vol. XII, no 2, pp. 12-31. [Autorisation formelle accordée par l’auteure de diffuser tous ses travaux le 4 novembre 2005.]

Francine Saillant *

anthropologue à l'École des sciences infirmières et chercheure
au Centre de recherche sur les services communautaires Université Laval.
 

Discours, savoir, expérience du cancer:
un récit de vie
”. 

Un article publié dans la revue Santé mentale au Québec, 1987, vol. XII, no 2, pp. 12-31.

 

DU « CONTEXTE » À « L'EXPÉRIENCE » DE LA MALADIE
 
UNE ÉTUDE SUR LES ASPECTS CULTURELS DE L'EXPÉRIENCE DU CANCER EN CONTEXTE CLINIQUE MODERNE
 
LE RÉCIT DE VIE D'UNE PERSONNE ATTEINTE DE CANCER
 
LE RÉCIT DE YVETTE TREMBLAY
 
« Avant la maladie » : éléments autobiographiques
« Avoir le cancer » : auto-diagnostic et itinéraire thérapeutique initial
« Survivre au cancer » : sens et expérience de la maladie
 
PERSPECTIVE POUR LA CLINIQUE
 
Le statut du savoir médical populaire
L'écart entre le vécu et le discours
La pertinence d'une anthropologie médicale clinique
 
Remerciements
Références
 
Résumé
 
Tableau 1. Le réseau sémantique du cancer
Tableau 2. Le réseau sémantique personnel de Yvette Tremblay

  

Ce texte contient la présentation et l'analyse du récit de vie d'une personne atteinte de cancer. Cette étude constitue l'un des volets d'une recherche récente ayant porté sur les aspects culturels de l'expérience du cancer au Québec, dans la perspective de l'anthropologie médicale clinique. La discussion des matériaux ici exposés propose une intégration des principales voles d'analyse qui ont été empruntés dans la démarche de ce projet.
 
 
« Leur perception est à la fois tragique et réaliste. Car cette "quête" déracine les gens et, une fois déracinés, les gens sont embarqués sur la voie de la mort. » 
Elli Kongas-Maranda
 

 

DU « CONTEXTE » À « L'EXPÉRIENCE »
DE LA MALADIE

 

Deux traits majeurs marquent le contexte clinique moderne dans les pays où le paradigme biomédical s'est imposé comme modèle dominant dans les institutions de santé : la présence de nombreux individus souffrant de maladies chroniques [1] et l'incertitude des connaissances médicales [2] à propos de plusieurs affections dont souffrent ces individus. Pensons au domaine de la santé mentale, ou à des cas particuliers comme ceux de l'arthrite et du cancer. La connaissance de l'expérience des individus porteurs de maladies chroniques permet donc de jeter un éclairage particulier sur l'évolution actuelle des institutions modernes de santé et des savoirs médicaux. 

À un autre niveau, les sciences sociales connaissent depuis quelques années un regain d'intérêt pour la recherche qualitative. Aux États-Unis, ce phénomène est parfois qualifié de tournant vers la compréhension. Quelques auteurs, dont Rabinow et Sullivan (1979) ont, dans cet esprit, fait retour sur la philosophie d'auteurs tels que Heidegger, Gadamer et Ricoeur en tentant de circonscrire les éléments d'une approche herméneutique propre aux sciences sociales. Ce tournant vers la compréhension s'inscrit au carrefour de plusieurs phénomènes propres à l'évolution actuelle des sciences et des sciences sociales, dont la remise en question du modèle de science que nous avait légué le XIXe siècle et la reconnaissance des aspects historiques et culturels contribuant au développement du savoir. Dans cet esprit, on assiste au retour en force des méthodologies qui avaient été délaissées en raison de leur soi-disant « manque de rigueur », comme par exemple, celle des récits de vie. 

Certains des développements théoriques, méthodologiques et empiriques survenus du côté de l'anthropologie médicale pourraient aisément être situés dans ce cadre, développements qui suscitent un intérêt clinique certain étant donné les éclairages qu'ils permettent de jeter sur le contexte de l'expérience de la maladie. 

Le contexte de l'expérience de la maladie peut être décrit et analysé de plusieurs manières en anthropologie. Young (1982) lors d'une recension exhaustive des écrits en anthropologie médicale suggérait de distinguer deux tendances relativement distinctes à l'intérieur de ce domaine : l'anthropologie des comportements de maladie (sickness behavior) et l'anthropologie de l'expérience de la maladie (illness behavior). 

On peut associer au virage herméneutique certains des courants propres à ces deux grandes tendances identifiées par Young. 

Par rapport à l'anthropologie des comportements de la maladie (sickness behavior), dans laquelle on met l'emphase sur le rôle des institutions sociales, médicales et politiques dans la compréhension du contexte de l'expérience de la maladie, on retiendra l'exemple de Foucault (1971), lequel a montré comment l'univers de la clinique s'est construit dans le contexte d'une nouvelle configuration des signes et des symptômes de la maladie et d'une mise à distance du corps et de l'expérience. Rabinow et Dreyfus (1984) ont d'ailleurs récemment commenté en ce sens l'ouvre de Foucault. 

Également associés à l'anthropologie de l'expérience de la maladie, dans laquelle l'accent est posé sur le rôle des systèmes symboliques dans la compréhension du contexte de cette même expérience, sont les travaux reliés à la théorie et à la méthodologie des réseaux sémantiques qui ont permis de mettre en valeur l'importance, la structure et les influences des savoirs médicaux populaires sur les comportements de maladie (illness behavior) (Good, 1977, 1981 ; Bibeau, 1978 ; Helman, 1978 ; Blumagen, 1980). 

La contribution majeure des anthropologues médicaux est bel et bien celle d'apporter un éclairage particulier sur le contexte de l'expérience de la maladie. Le contexte peut être identifié comme on vient de le voir à des structures sociales et dispositifs historiques ou à des réseaux particuliers de signification dans lesquels l'expérience du patient prend forme et sens. Beaucoup plus rarement, toutefois, se penche-t-on sur la relation du contexte à l'expérience, relation pourtant primordiale pour les développements ultérieurs de l'anthropologie clinique et la démonstration des aspects pragmatiques des contributions actuelles de l'anthropologie médicale [3].

 

UNE ÉTUDE SUR LES ASPECTS CULTURELS
DE L'EXPÉRIENCE DU CANCER
EN CONTEXTE CLINIQUE MODERNE

 

Le récit de vie ici présenté en version abrégée a été recueilli dans le cours d'une étude d'anthropologie clinique [4] portant sur l'expérience du cancer en contexte clinique moderne, étude qui fut effectuée dans un centre d'accueil et de traitement de personnes atteintes de cancer [5] situé dans une agglomération urbaine du Québec. Intervenants et patients étaient tous francophones et catholiques [6]

Trois hypothèse principales ont été générées [7]. Je les rappelle ici brièvement : 

1.  Depuis la dernière décennie, on observe l'émergence d'un nouveau discours sur le cancer, plutôt orienté sur la survie que sur la mort, articulé autour des thèmes du maintien de l'espoir et du bon moral. Un tel discours fut rendu possible par la transformation des conditions politiques et institutionnelles opérées dans le champ scientifique au début des années 70, conditions qui ont rendu possible la production médicale d'une nouvelle catégorie de patients, les survivants possibles [8]

2.  Le discours mass‑médiatique porté sur les héros-victimes du cancer est un discours qui entre en continuité et en relation d'homologie avec le discours que l'on peut observer en contexte clinique à propos des patients cancéreux. Par rapport à l'expérience de la survie, on valorise entre autres, la combativité et le dépassement de soi entre autres comportements qui concrétisent l'idéologie du maintien de l'espoir et du bon moral [9]

3.  Le savoir populaire sur le cancer est un savoir ouvert et dynamique, producteur de sens. Le système de représentation qui le constitue est composé d'éléments suggérant le rapport symbolique ou métaphorique du cancer à la mort. C'est dans le processus intégrateur de l'explication de l'origine de la maladie, équivalent à une manière de symboliser l'expérience de la survie, que s'élabore un savoir centré sur le sens, savoir qui tend à personnaliser la causalité et à donner une cohérence à l'expérience de rupture qu'est la maladie [10]

Ces hypothèses ont permis de mettre en évidence les relations entre les contextes discursifs, symboliques et cognitifs modelant l'expérience de la maladie, relations qui seront explorées ici dans la description et l'analyse du récit de vie qui suit. 

 

LE RÉCIT DE VIE D'UNE PERSONNE
ATTEINTE DE CANCER

 

La présentation et la discussion du présent récit de vie permettra aux lecteurs d'identifier les divers éléments à la base de la construction culturelle de l'expérience du cancer. Le « contexte » de l'expérience de la maladie correspond donc ici à des éléments divers susceptibles d'influer ou d'orienter le vécu : par exemple, la structure des relations soignants/soignés dans la clinique ; les conditions historiques, politiques et scientifiques de la pratique des intervenants ; les images et symboles associés à la maladie. Il s'agira pour nous de présenter le récit de vie d'une personne atteinte de cancer, récit d'une expérience dont le commentaire nous renverra constamment au contexte d'une telle expérience. 

Cette façon de faire, en plus de resituer les divers éléments du discours des soignés dans la continuité et la cohérence d'un seul récit, amènera à montrer en quoi les connaissances anthropologiques pourraient être d'une utilité évidente dans la pratique clinique, préoccupation qui est à la base des travaux actuels en anthropologie de la santé chez des chercheurs tels que Kleinman (1980) ou Alexander (1979). 

Sur ce point, deux problèmes devraient, à la lecture du récit de vie de Yvette Tremblay (nom fictif) [11], attirer l'attention des lecteurs. 

On notera l'évolution du discours de la soignée tout au long de son itinéraire thérapeutique, évolution marquée, d'une part, par l'effritement des bases de l'idéologie propre à l'univers de la survie, axée sur l'espoir et le maintien du bon moral, et d'autre part, par une distorsion de plus en plus grande entre le discours et le vécu. Le sens donné à l'expérience du cancer à travers le processus explicatif de la maladie a aussi donné lieu à un itinéraire thérapeutique complexe et à une « interprétation conflictuelle » des événements liés à l'évolution de la maladie. Ces deux problèmes entraîneront l'approfondissement de deux questions qui n'en sont au fond qu'une seule : y a‑t‑il lieu d'interpréter la distance entre le discours et le vécu comme le produit d'une aliénation spécifique et inhérente au processus de construction culturelle de l'expérience du cancer ? Le phénomène de non-reconnaissance du point de vue et du savoir des soignés sur leur maladie telle qu'ils la perçoivent et en font l'expérience (illness), ajoute‑t‑il une autre dimension à cette aliénation possible ? 

Yvette Tremblay est une femme au foyer âgée de 59 ans. Comme beaucoup de Québécoises de sa génération, elle fut peu instruite et n'a à son crédit qu'une troisième année. Mariée à un mineur et habitant Coleraine, dans le comté de Mégantic (région minière du Québec), elle est mère de trois enfants maintenant d'âge adulte. Elle fut initialement admise au pavillon pour un cancer du sein qui évolua dramatiquement pendant le temps de mon séjour. J'ai réalisé au total cinq entrevues avec madame Tremblay. Les trois premières furent effectuées au pavillon les 18, 19 et 22 novembre 1982. Le 25 janvier 1983, elle accepta une nouvelle entrevue avec moi alors qu'elle fut admise pour une série supplémentaire de traitements en radiothérapie. Je fis enfin une dernière entrevue avec elle, puis avec son mari, le 19 juillet 1983, alors que je m'étais rendue à son domicile à Coleraine. J'ai aussi rencontré l'époux de madame Tremblay en août 1985, après le décès de cette dernière. 

La prochaine section contient le récit de vie structuré en relation à trois séquences temporelles et thématiques correspondant aux questions suivantes : 

 

A. Quelle était votre vie avant la maladie ?
 
B. Que s'est-il passé lorsque vous avez découvert des signes du cancer ?
 
C. Quelle est votre vie depuis que vous reconnaissez qu'il y a eu diagnostic de cancer ? 

 

La troisième et dernière section favorisera la réflexion quant à la compréhension globale de ce récit et quant au rapport entre anthropologie, culture et clinique.

 

LE RÉCIT DE YVETTE TREMBLAY

 

« Avant la maladie » :
éléments autobiographiques

 

Je suis née à St‑Jacques-le-Majeur, dans le comté de Wolfe. J'ai vécu là. On est partis de là j'avais treize ans. Il y avait quelques vaches. On a vécu pauvrement, quand il a lâché la terre, on a vécu pauvrement. On a été obligés de partir, il travaillait dans le bois. Ensuite, on a déménagé dans le comté de Mégantic. Mon père a rentré dans les mines, il gagnait pas cher, il avait des dettes. On a eu une maison près des mines, ensuite on est allés au village, dans un logement, y avait juste quatre appartements, la cuisine pi trois chambres à coucher. On était treize là-dedans, imaginez. Il nous a dit que notre nom c'était très important... quand vous achetez quelque chose, payez-le. On est une famille comme ça, qui paye, pi qui vole pas. On aidait notre mère, on a pas d'instruction tellement, moi je sais lire, mais c'est tout. Les cinq derniers, mes parents en avaient moins besoin d'aide, ils ont pu étudier. On aidait notre mère parce que ma mère était malade, elle avait des petits, elle avait douze enfants, elle avait demandé des méthodes, le médecin lui a dit que les bonnes méthodes, c'était le commencement des règles. 

Dans ce temps‑là la religion c'était pas comme aujourd'hui. On s'amusait bien. On s'accordait bien. On a voulu bien manger. Mon père cultivait des légumes, c'était la crise. On avait rien, pas de jouets. Les petits gars fabriquaient des traîneaux, on jouait à la tague, à la cachette, on s'est bien accordés. L'entente, quand papa et maman demandaient de quoi, on le faisait. Dans ce temps‑là, c'était pas comme aujourd'hui, on demandait moins. Je ne peux quasiment pas parler pour les jeunes. Ça a beaucoup trop changé. 

Ce sont là les propos de Yvette Tremblay lorsqu'elle me parlait de sa vie « avant la maladie », au tout début de notre première rencontre. Déjà se dessinait dans ces premiers mots, comme on le verra un peu plus loin, la centralité de certains thèmes constitutifs d'une organisation particulière de son discours, du sens donné à sa vie et de la place accordée à l'expérience de la maladie. 

D'origine sociale modeste, issue d'un milieu rural, elle partagea avec beaucoup d'autres de sa génération, l'expérience de la rareté au plan socio‑économique, la nombreuse famille, l'absence du père tantôt au bois, tantôt aux champs, le modèle autoritaire d'éducation familiale et religieuse, puis, la rupture brusque de la révolution tranquille qui fit passer le Québec à l'âge du modernisme. 

Sa mère fut, selon son dire, « une personne malade », qui eut à subir cinq « opérations. » Elle fut, comme sa fille me le disait « coupée d'un bout à l'autre », et donna vie à treize enfants, dont deux moururent en bas âge. 

Elle se maria très jeune, sur les traces de sa mère, et vécut assez pauvrement au début de son union dans la maison de sa belle-mère qui avait également connu « la misère et une grosse famille », étant demeurée veuve avec sept enfants dont deux infirmes. 

Elle avait eu quatre ou cinq infirmes sur seize enfants, pi pas de docteurs, les deux plus vieux ont été débités pour les avoir, sur le plancher, pi les hommes du voisinage qui étaient là... imagine. 

Cette façon plutôt dramatique de relater les événements des accouchements de sa belle-mère était particulière à Yvette Tremblay qui connut elle-même, à l'instar de sa propre mère, des événements difficiles lors de ses propres accouchements. Elle eut ainsi cinq grossesses dont deux fausses couches. Voici comme elle relatait les événements de l'une des deux grossesses terminées en fausses couches :

 

Y était très gros, j'ai eu de gros bébés. Le docteur c'était un nouveau, y me demandait si j'avais eu belles maladies (accouchements). Ben oui, je lui avais dit, j'ai toujours eu de belles maladies, je les avais chez nous, même à quatorze livres, ça avait bien été. J'étais jeune, mais quand ça fait quinze ans et qu'on est rendu à quarante ans... Le docteur m'a demandé si ça avait toujours bien été. Ben oui, je me fiais à ça. Puis j'avais beau aller chez le docteur, ça allait toujours. Y me donnait des médicaments pour me renforcir. Moi, j'allais bien, c'était l'enfant qui était gros. Je me disais, je parlais à l'enfant, je lui disais, pauvre toi, si tu savais comme je ne suis pas capable de te porter. Ma mère m'avait fait des couches rien que pour lui. Je le voyais pas mon petit bébé dans la maison. J'étais pas mal sans dessein aussi. Ben imaginez, mon bébé, je l'ai jamais vu. Yé venu au monde, je ne l'ai pas vu. Y m'ont brisée, la tête passait pas. J'ai été pendant deux ans à pas pouvoir marcher. Les gardes croyaient pas ça. Y avait trop forcé.

 

L'expérience malheureuse de cette fausse couche apparaîtra centrale au niveau du sens et de l'explication donnée de sa maladie par cette patiente, comme on le constatera. De tels événements prennent un sens d'autant plus fort qu'ils apparaissent en continuité ou en association avec ceux de d'autres individus dont elle était proche, comme ce fut le cas pour sa belle‑mère et surtout pour sa mère à laquelle elle s'identifiait nettement dans son rapport à ses grossesses et accouchements. 

Les propos de Yvette Tremblay en regard de la grossesse et de l'accouchement furent marqués par une polarité sensible également au niveau de plusieurs thèmes qu'elle a abordé dans son récit autobiographique : il s'agit de la dualité passé/présent. 

Comme elle le soulignait, elle vécut pauvrement au début de son mariage et son mari, un travailleur dans les mines dès l'âge de seize ans, originait d'un milieu semblable au sien. Il fut empocheur jusqu'à la déclaration de son amiantose à l'âge de 55 ans. Toutefois le mariage (« un mariage d'amour ») marqua, chez ce couple plutôt heureux, le début d'une amélioration des conditions suivant l'élévation générale du niveau de vie et l'essor économique de l'après-guerre dans les pays industrialisés. 

Le passé était chez elle associé à la misère et aux difficultés de survivre dans un contexte de grande rareté tandis que le présent représente à la fois la vie meilleure et le changement auquel il est difficile de s'adapter parce que trop rapide et sans continuité avec le passé. Voyons en exemple comme elle évoquait les conditions passées et actuelles de travail dans les mines où son mari fut employé.

 

Y a été empocheur mon mari pendant 25 ans dans un petit appartement, le coton tombait, ils étaient deux et ils ne se voyaient pas tellement y avait de la poussière. Ça c'est de l'amiante, c'est ça qu'il a sur le poumon. Aujourd'hui, y ont pu ça, aujourd'hui, y a pu de poussière, dans ce temps-là, y faisait pas attention.

 

Cette polarité vécue au niveau de la perception du passé et du présent fut médiatisée par un système de valeurs qui permettait à la fois d'accepter la misère du passé et les excès du présent, mais aussi probablement, la maladie et l'actuel cancer. 

Ce système de valeurs rappelle nettement l'influence de l'idéologie religieuse propre au Québec traditionnel et conservateur décrit entre autres par Rioux (1968), qui dicte la résignation face à la misère et la limitation des exigences personnelles dans une vie qui fut « du pareil au même. »

 

J'aime mieux me contenter que de penser avoir plus ; avoir plus d'argent rend peut-être pas plus heureux. Ceux qui en ont jamais assez, y ramassent, y pilent, y pilent, mais l'argent pour nos besoins, c'est assez. Je suis heureuse pi j'en demande pas plus. (...) En autant que ça va bien avec mon mari, pi que mes enfants vont ben aller, ça va me satisfaire. La vie est belle à vivre quant on y tient.

 

Les éléments autobiographiques précédant la maladie de madame Tremblay tels qu'elle les racontait lors de son premier séjour au pavillon indiquent quelques voies thématiques en liaison avec la perception de son expérience du cancer. Le passé est ainsi fortement associé à la misère et à la maladie et tandis que la misère des hommes se vit dans l'espace social du travail, celle des femmes passe plutôt par celui de la maternité. En protection d'une telle misère, se construit un certain discours, celui de la résignation et de l'abnégation. En opposition à une telle misère s'édifient les lieux multiples du changement qui apporte le bien‑être, un adoucissement des conditions d'existence, mais aussi la rupture, rupture des modes de vie, rupture de la communication intergénérationnelle. 

Voyons maintenant comment l'expérience de la maladie se profile et se creuse en relation à cette première tranche du récit de vie.

 

« Avoir le cancer » :
auto-diagnostic et itinéraire thérapeutique initial

 

De la représentation de la maladie à l'auto-diagnostic

 

Avant le premier épisode de sa maladie, Yvette Tremblay ne connut pas de problèmes de santé majeurs. Cependant, elle fut en contact fréquent avec la réalité du cancer telle qu'elle se présentait avant la restructuration des champs scientifiques et cliniques des années soixante‑dix, étant donné que sept membres de sa famille (mère, oncles, tantes) en furent aussi atteints. Une telle surexposition, alimentée par le discours alors prévalant, contribua sans doute chez elle à la formation d'une certaine représentation de la maladie, s'incarnant dans les figures de la souffrance et de la sécheresse, donc vraiment du cancer en tant que symbole de mort. 

Selon elle, le cancer est un mot récent bien que cela puisse être possible qu'il ne s'agisse pas vraiment d'une maladie nouvelle.

 

C'est récent le mot, il me semble que c'est nouvellement sorti, mais ils se faisaient manger en vie. Je pense que ça a toujours été, mais seulement avec l'amélioration, y ont trouvé un mot à ça. Yen a qui disent que c'est une maladie de civilisation. Y mouraient de l'appendice par les années passées. Y mouraient, aujourd'hui, y meurent pu. Dans notre temps, y appelait ça une appendicite. Y changent toujours les noms. C'est comme le rhumatisme. Aujourd'hui, y appellent ça de l'arthrite. Pi, y a un autre mot aussi. À mon idée, arthrite pi rhumatisme, c'est pareil. C'est les mots qui changent pi nous autres, on les comprend pas.

 

Le cancer est aussi métaphore du mal qui ronge ; d'ailleurs chancre et cancer se retrouve dans une même classe taxonomique :

 

Le chancre pis le cancer... y a ben des mots là‑dedans. Comme le chancre qui mange. Mon mari a vu un homme qui se faisait manger les lèvres. Il lui mettait une tranche de steak. Quant y avait pas de steak, c'était la personne qui se faisait manger. Y appellent ça du chancre, y paraît que ça revient au même.

 

La croyance selon laquelle on doit « nourrir » le mal pour être guéri se retrouve directement connectée à la métaphore du mal qui ronge. 

Une tumeur est, selon elle, non dangereuse si elle est « prise à point », bien qu'elle puisse « devenir cancéreuse » à la longue. Ce qui « ronge » et qui est invisible risque de « tourner ». Dans son cas, la tumeur ne pouvait pas être dangereuse puisqu'il s'agissait d'une bosse ou de ganglions qu'il faut toutefois prendre au sérieux puisqu'ils peuvent « virer cancer ».

 

C'est sûr qu'avec leurs mots (termes médicaux) on prend ça toute pour du pareil au même. On a pas tous la même maladie. Comme moi, ils m'ont dit que c'était les ganglions. Là y brûlent ça. Faut croire que ça en est qui vont être portés à virer cancer, pi y le sont pas actuellement. C'est comme ça que je le prenais. C'est pour prévenir probablement qui vont protéger ce qui reste dans mes seins.

 

Une bosse, un ganglion ou une tumeur ont ainsi le potentiel de « tourner en cancer » et d'emporter la personne dont on dira, selon les mots de Yvette Tremblay, qu'elle est « ben avancée » ou « ben entreprise ». Voyons comment maintenant une telle représentation du cancer s'articule logiquement au processus de l'auto‑diagnostic. 

Yvette Tremblay savait déjà depuis le mois de décembre 1982 qu'elle avait « une bosse », mais craignait par‑dessus tout de rencontrer un médecin au cas où « ce soit ça ». Elle mit plusieurs mois avant de confier à un médecin la présence d'un tel signe, qu'elle associait au cancer. Ce n'est qu'en septembre 82 qu'elle se décida à un examen médical, bien qu'elle ait songé, dans un premier temps, à consulter un guérisseur.

 

J'y songeais souvent. J'aurais pu y aller bien avant, mais j'y allais pas. Cet été je me suis décidée, j'avais tellement mal dans le dos pi aux reins, j'ai passé un rayon-X pi deux semaines après, j'ai été opérée. 

 

Les raisons ayant provoqué la décision de recherche d'une aide thérapeutique, constamment remise à plus tard mais finalement prise lors de l'apparition de sensations douloureuses persistantes, furent confirmées par le mari qui avoua clairement : « Ce n'est pas la bosse qui l'a amenée à l'hôpital, c'est le mal de rein ». Il faut dire que la peur de la douleur et de la restriction des activités quotidiennes étaient très présente chez elle qui associait justement la santé à la capacité de « faire son ordinaire » ou de faire son « berda », malgré qu'elle ne croyait pas qu'on puisse être parfaitement en santé. 

Une semaine après cet examen, en l'occurrence une radiographie, elle fut appelée par son médecin traitant et fut soumise à une biopsie, laquelle révéla la présence d'une tumeur maligne. Elle fut ainsi hospitalisée pour fin d'excision de la tumeur quinze jours après sa première rencontre avec son médecin. 

Voici comment elle racontait l'événement de l'annonce de son diagnostic par son médecin traitant. D'abord, un mot de la rencontre où on lui signifia qu'elle devrait subir une biopsie :

 

Le docteur m'a appelée, y m'a fait demander à son bureau. Chu ailée avec mon mari. Y m'a dit, ça c'est votre vie à vous. Y a peut-être rien, pi si y a quelque chose de plus, y vont toute ôter. Y a peut‑être rien. Y vont toute ôter, si y a quelque chose. Mon mari poussait avec ça. Pi ensuite le mercredi, y ont pris un prélèvement. Pi le vendredi, j'ai eu un appel pour rentrer à l'hôpital. Pi aller être opérée. Là, j'ai trouvé ça vite. Je me suis demandée pourquoi aller si vite. Je doutais. J'avais peur. Je me disais je peux rester de même pi vivre pendant vingt ans. Ce dépend si c'est avancé. Le docteur a dit, vu que vous êtes une famille sujette à ça, je vais l'enlever, pi un mois après chu rentrée ici au Pavillon d'accueil.

 

Voici comment elle disait avoir, par la suite, réagi au diagnostic :

 

Je me suis dit... pas grand chose. Je peux pas prévenir. Je me suis dit, qu'est-ce qui a à arriver va arriver... Je craignais mais je prétendais que ça viendrait pas pire ... J'ai confiance que ça va bien aller... parce que j'ai été prise à point, parce qu'ils m'ont dit qu'il n'y avait pas de danger que mon mal aille plus loin, parce que mon mal y était pas pire à la fin du mois d'août qu'il ne l'était en janvier. Pi la bosse avait pas grossi.

 

Sa maladie, identifiée à « une bosse » qui n'avait pas grossi était ainsi considérée comme mineure, ou « prise à temps » en opposition à un cancer que l'on dit « ben avancé ». 

Pour Yvette Tremblay, le cancer comme symbole de mort est une représentation clivée de son vécu actuel. C'est entre autres en se classant parmi les personnes dont le cancer a été « pris à temps », que Yvette Tremblay devint, après l'intervention chirurgicale, une « survivante ». À l'expérience de la survie, distincte de celle de la phase terminale et des représentations auxquelles elle donne lieu, s'articule le nouveau discours sur le cancer accompagné de certaines tactiques au plan des échanges soignants-soignés. 

Voyons maintenant le contenu de ce discours et de ces tactiques tels que me les relatait Yvette Tremblay. 

 

Entre l'optimisme et le non-dit :
l'incertitude du futur

 

Un mois après l'ablation de sa tumeur, Yvette Tremblay fut ainsi admise au pavillon afin de recevoir une série de traitements en radiothérapie. En tant que résidente, sa perception de la vie institutionnelle était, à l'instar de la majorité des autres résidents, des plus positive

 

Je trouve ça merveilleux qu'ils se dévouent comme ils le font. Y en a la moitié qui pourrait pas se faire soigner. On a à manger comme on veut. On a des divertissements, des sorties, de l'artisanat, on joue aux cartes. Si on veut être tout seul, on peut. Je suis surprise de l'accueil qu'on a. Après nos traitements, on est libre de sortir. On mange bien. Quand on mange pas bien, c'est les traitements.... J'ai apporté du tricot, je lis, je regarde la TV, je souris au monde.... C'est bien, les gardes sont fines, y ont une belle humeur. Y pourraient se tanner. J'ai pas un mot à dire. Dans la salle de traitements, je me laisse faire, y connaissent leurs affaires. Ces personnes-là y ont étudié pour ça.

 

Les relations entre les résidents étaient marquées du signe de non-dit par rapport au thème de « la maladie »

 

La maladie, on en parle le moins possible. Faut pas parler de ça. Ça deviendrait fatigant. Si on ... si y en a qui sont portés à le faire, les gens qui en parlent beaucoup, on les évite. Y en a une qui en parle tout le temps de ça. Le monde l'évite. Ça finit qu'on vient tannés d'entendre parler des maladies des autres. Une fois ça peut faire. Pi à part ça, ça donne rien d'aller raconter ça à ceux qu'on reverra jamais. C'est de les tanner, de les écoeurer. Je me dis les étrangers y ont pas affaire à ça.

 

On reconnaît le principe de discrétion nécessaire [12] par rapport au thème de la maladie que l'on respecte aussi bien entre les résidents qu'entre soignés et soignants, puis avec l'entourage familial et amical. 

Au-delà de l'opinion très positive que madame Tremblay émettait à propos de son séjour au pavillon, on note, du moins lorsqu'on s'attarde à ses perceptions des relations vécues avec le personnel médical et para-médical, un certain nombre de problèmes relatifs à l'accessibilité de l'information. Voyons d'abord ce qu'il en était du diagnostic :

 

Le docteur m'a dit que si c'était douteux, qu'ils enlèveraient toute. Ils n'ont pas dit cancer, ils ont dit ganglions. Au centre hospitalier de l'Université de W. ils ont dit ça aussi. Ca fait que y ont pas prononcé le mot cancer. C'est nous autres qui s'imaginent ça. Ils ne me l'ont pas dit. Je ne peux pas dire que je fais du cancer, je ne le sais pas... Ici, je n'ai pas posé la question mais j'aimerais ça le savoir. J'aimerais ça, savoir si ça a rapport au cancer, après que ma petite soeur est morte de ça, hein.

 

On remarque ici que persiste un doute sur la nature réelle de la maladie, et ce, plusieurs semaines après l'auto-diagnostic. C'est là, effectivement, l'une des conditions de la survie où les soignés cherchent à connaître l'évolution de leur situation et plus spécifiquement, leur pronostic. Le « désir d'en savoir plus long » et le besoin d'être rassurée, très intenses en cours de traitement et plus tard, n'étaient pas sans être vécus de façon problématique par cette femme qui se disait très embarrassée en présence de son médecin, dont elle pensait « qu'il ne parle pas pour rien dire ».

 

Y parle pas, y pèse, y prend notre pression, c'est difficile à décrire, on l'aime bien, il sonde.

 

Les échanges avec le médecin du pavillon étaient marqués par la gêne, qu'elle expliquait par son manque d'instruction et par la peur d'être tournée en ridicule devant quelqu'un qui « connaît ce qu'il dit ». Devant le docteur, j'oublie tout, c'est la gêne, pareil comme si ... j'aurais peur de me faire répondre que c'est pas de mes affaires, ça arrive hein. 

L'espace du doute est en fait celui de l'incertitude. Bien que plusieurs signes objectifs rappelaient à cette patiente qu'elle devrait pouvoir garder espoir tels que l'attitude rassurante des médecins, l'atmosphère du pavillon, son autodiagnostic, l'absence de douleur, il n'en reste pas moins que le risque d'une évolution plus dramatique restait présent compte tenu de la nature même de la maladie ; pour Yvette Tremblay, l'avenir s'est rapidement assombri.

 

« Survivre au cancer » :
sens et expérience de la maladie

 

Les contradictions de la survie

 

Lors de notre première série de rencontres au pavillon, Yvette Tremblay ne considérait pas que la maladie allait modifier le cours de sa vie étant donné que le cancer « avait été pris à temps » ; sa condition de survivante n'altérerait pas ses relations avec son entourage. De fait, pour elle, la vie ne changerait pas tant qu'on ne lui annoncerait pas que le mal avait « tourné ». Quant à l'avenir :

 

Je le vois pas mal tel qu'il a été jusque asteur, on est pu rien que tous les deux, on a pu ben ben de responsabilités. Leurs enfants, ça les regarde, on va continuer notre vie comme d'habitude, aller à l'Âge d'or, jouer aux cartes, moi, je me force.

 

Son statut de survivante était placé en équivalence à celui de bien portante, mais cela, non sans une note d'ambiguïté :

 

Je me fais soigner pour me faire protéger, pour pas que ça aille plus loin, mais à mon idée je ne suis pas malade ... Peut-être que je veux pas l'être, c'est plus ça parce que je peux pas dire que je ne suis pas malade. Mais je veux pas le dire que je peux avoir des douleurs, j'haïs ça me faire dorloter, du moment que je veux faire quelque chose, c'est assied‑toi ! Pi là chu avertie, aux Fêtes faut pas que je donne de repas. Habituellement j'en donne un, faut que je me repose, faut que je pense à moi. Faut que j'aille finir, je vais le voir mon médecin, je vais tout lui demander, pi lui y va me le dire ce que j'ai à faire. Je me fie sur lui pour savoir qu'ossé que je dois faire pi qu'ossé que je dois pas faire.

 

Yvette Tremblay décrit ici remarquablement le problème de l'expérience de la chronicité, lorsque le patient présente au clinicien une série de malaises aux symptômes vagues, malaises qui s'accompagnent aussi d'un « mal‑à‑dire » difficilement partagé compte tenu du contexte de la relation thérapeutique :

 

Quand j'arrive devant le docteur, je ne sais plus comment demander, y sont pressés, y ont pas le temps de nous écouter, c'est pour ça qu'on pose pas de questions. Demain peut-être que je vais en poser un peu, mais je voudrais savoir toute, y devrait nous répondre …Moi je voudrais savoir si je peux travailler à n'importe quoi, si je vais avoir quelques mois à faire attention, voir si je peux travailler, si je peux me réchauffer les seins.

 

Ce mal‑à‑dire s'accompagnait d'une très forte crainte du « mal imaginaire » malgré la fréquence du sentiment que « quelque chose ne doit pas aller » souvent jugé par les différents cliniciens comme une « anxiété normale ». Or, en contexte clinique, « l'anxiété normale » entre dans la catégorie des symptômes vagues et flous d'intérêt moindre aux yeux d'un spécialiste ; au plan de la communication, ceci donne souvent aux soignés l'impression qu'on leur dit qu'ils ont un mal imaginaire, ce qu'appréhendait aussi Yvette Tremblay.

 

Y as-tu des maladies imaginaires ? Moi, quand j'ai quelque chose, j'ai toujours peur de ça, de m'imaginer d'être malade, pi de ne pas l'être. Quelqu'un qui est vraiment malade, comment est-il ?... Moi, j'ai confiance au médecin mais, faut être malade. Si quelqu'un va voir le médecin pi le médecin peut pas deviner, yé sûrement pas capable de deviner toute. Vous dites que vous avez mal à la tête. Y va vous donner quelque chose pour ça. Moi, je calcule que c'est toute des bons médecins mais faut être malade pour qu'ils nous soignent. Si on est pas malade, y trouveront rien. Y a des maladies plus hypocrites que d'autres... C'est embêtant ça. Les médecins font quand même leur possible.

 

Dans les premières semaines succédant le diagnostic posé par le médecin, les questions qu'elle voulait soulever étaient des plus simples, se reportant nettement à sa vie de tous les jours. L'allusion à la question de la chaleur sur les seins, au premier abord anodine, prit de plus en plus d'importance alors que la situation de la maladie évolua. Voyons d'abord comment elle m'expliqua l'effet potentiel de la chaleur sur ses seins :

 

J'aimerais bien faire mon ordinaire, mon berda. Comment que ça serait pas le grand ménage. Je ne suis pas capable de rester à rien faire. C'est ça que je veux savoir. Ce que je peux faire. Si j'ai le droit de me mettre les mains dans l'eau.

 

Cette croyance était partagée par son entourage immédiat de même que par certains résidents :

 

Y veulent pas que je me réchauffe les seins, faudrait pas que je me baignerais. Y disent quand on fait du cancer pour trois mois, faudrait pas qu'on se laverait, je fais laver ma vaisselle.
 
On entend dire toutes sortes de choses. Y en a qui disent qui faut pas se réchauffer les seins, d'autres qui disent qui faut pas que tu te laves avant trois mois.

 

Laver les seins (ou le site de la maladie) est risqué parce qu'on pourrait aussi enlever « l'effet du traitement ». Quant à l'action de la chaleur, elle se situe dans le rapport « au mal qui tourne » inhérent à la physiopathologie populaire. Les questions que désire poser Yvette Tremblay à son médecin renvoient dans les faits tout autant à l'organisation de la vie quotidienne qu'à sa propre responsabilité, qu'elle désire écarter, quant à l'évolution de la maladie. Comment, concrètement, éviter la récidive ? Et à la limite, comme s'adapter à l'expérience de la survie ? 

Six mois plus tard, elle fut réadmise au pavillon pour une série supplémentaire de traitements en radiothérapie. Elle accepta de nouveau de me rencontrer pour une entrevue. 

En six mois seulement, sa situation s'était fortement aggravée et elle ressentait surtout des douleurs très vives au niveau des hanches, des aines et des « reins » (bas du dos). Le site de ces douleurs fut l'un des thèmes principaux qu'elle aborda spontanément pendant cette rencontre. Elle avait reçu avant son admission des doses massives de médicaments analgésiques, lesquels s'étaient révélés inefficaces. A son mal de dos, elle associait l'expérience de sa dernière grossesse terminée par une fausse couche :

 

Là, je vois pas de problèmes du côté de mes seins, mais dans mes reins, j'en vois un. Je vous ai parlé de mon dernier bébé, je souffre du mal de reins de ça. J'en ai eu des hauts, pi des bas. Mais depuis les Fêtes, ça a pas slaqué. Moi je prétends à part ça, que mon sein pi mes reins, ça a pas de rapport.

 

Cette douleur aux « reins » persistait déjà depuis plusieurs années, douleur à laquelle elle s'était jusque là adaptée. Lorsqu'elle avait consulté pour sa « bosse au sein », elle avait bien évidemment omis de communiquer ce problème, sans aucun lien avec la « bosse », l'objet réel de sa visite. Ainsi, le médecin spécialiste qui la suivait en tant que spécialiste pour les seins, ne pouvait selon elle l'aider pour son « mal de reins » :

 

Je suis revenue pour un contrôle, pi là, j'ai parlé de mon mal de reins. Pi là, y m'a fait des reproches le médecin ; y a la garde aussi qui m'en fait, c'est vrai. Mais, moi, je pensais que le docteur c'était juste pour les seins. Je l'avais pris de même. J'avais mal aux reins. J'avais peur qu'il me dise c'est pas mon domaine. J'avais mal partout. J'ai mal partout, j'ai la chair sensible. Il m'a dit que c'est pas beau, que ça va pas bien ... mais là, je veux savoir exactement. Y as-tu trouvé quelque chose. Pi y ont le tour des fois de faire des détours pour rien dire ... Je dirais pas qu'on me cache quelque chose parce que je ne l'ai pas demandé, je ne l'ai pas posé. Mais moi, je veux savoir ce que j'ai, pi où je suis rendue. J'ai de la misère à marcher, j'ai mal à la hanche et dans le cou, j'ai mal partout, qu'est‑ce qui disent là-dessus ? Mais chu pas fine, je pose pas de questions. J'ai peur encore demain de pas parler, pi de m'en aller chez nous, pi de rien savoir.

 

Non seulement ne voyait-elle pas comment son médecin spécialiste du sein pouvait l'aider, mais aussi, elle doutait de l'intervention qu'elle avait eu au sein où elle n'avait décelé somme toute qu'un problème minime et indolore. Le véritable site de sa maladie était, selon elle, là où siégeait sa douleur, c'est-à-dire aux « reins ».

 

J'ai été sept semaines icitte pi j'étais pas soignée pour la bonne affaire. Là, je souffre. Je ne souffrais pas à ce moment-là. Y m'ont opéré pour ça, pi pour les reins, j'ai jamais entendu parler de rien. Pi j'ai déjà passé des examens pour les reins, pi y avait rien, c'est pour ça que j'en ai jamais parlé. Pi là, j'ai ça. C'est ben venu vite. Depuis si longtemps que je souffre du mal de reins.

 

La relation du mal de reins à une expérience passée, une fausse couche particulièrement pénible, se trouve au cour du processus d'explication ou de symbolisation de l'expérience de la maladie. Elle croyait toutefois que du fait qu'elle avait nourri ses enfants, elle aurait pu être naturellement protégée du cancer, sans cependant clairement relier son propre cancer au fait « qu'il y en avait dans la famille ». Nourrir les enfants empêche en quelque sorte d'accumuler des substances qui risqueraient de tourner en cancer.

 

Je pensais pas avoir plus de chance de l'avoir parce que c'était dans la famille, non je me suis dit y en a assez de ça aujourd'hui, on entend parler que de ça, j'en suis une comme une autre je suppose... [...] Pourquoi, c'était un pressentiment parce que j'ai toujours nourri mes enfants, y disent quand on nourrit, c'est mieux pour la femme, y en a qui ont jamais nourri, sont pas pire, pi je l'ai pareil.

 

Le sens de la douleur s'incarne ici concrètement dans l'étiologie populaire de la maladie qui permet de symboliser l'expérience actuelle dans une synthèse créatrice des événements du passé unifiés à ceux du présent La maladie est la douleur et la cause de la douleur trouve son sens dans la perception englobante du rapport misère-maladie-douleur. 

L'entourage des amis et de la famille considérait ce mal comme de l'arthrite et lui conseillait divers médicaments et « solutions miracle » comme par exemple, le jus de céleri qu'elle se mit à boire régulièrement jusqu'au dégoût. Ces derniers redoublèrent en attitude surprotectrice, acceptant difficilement selon ses dires, qu'elle soit victime d'une situation aussi intolérable. De son côté, Yvette Tremblay préférait toujours respecter la règle de discrétion nécessaire face à l'ensemble de son entourage.

 

On aime pas parler tout le temps de ça. Ça énerve le monde. [...] J'aime mieux pas en parler. Le moins possible, même s'ils voient que j'ai de la misère à marcher, y en a qui aiment pas ça. [...] A part ça, j'ai dit à mon mari, si y faut que je devienne pire que ça, j'aime autant mourir avant mon temps, j'ai pas envie de raconter ça à tout le monde... Je lui dis que j'ai mal, mais rien à part ça. [...] On peut pas toujours parler de ça. Ça devient trop fatigant, faut parler d'autre chose.

 

Son mari, pour sa part, adopta face au problème, la même attitude.

 

Y me remonte, y m'encourage, y fait tout son possible, mais y en parle pas... Ça doit être ben dur pour mon mari. Qu'est‑ce qu'il y a de plus fatigant que de voir quelqu'un traîner dans une maison pi être malade ? Qu'est-ce qu'il y a de pire pour les autres ? Yé bon de m'endurer. Il fait tout pour essayer de me soulager.

 

Il faut noter ici une certaine progression dans la question du statut du non-dit puisque l'évolution dramatique du cancer ajoutait une dimension fort importante à la peur de l'évocation de la maladie « parce que cela pourrait nuire ; avec le temps, c'est plutôt la peur de l'isolement socio-affectif et de l'absolue dépendance face à l'entourage, dans une vie faite pour le travail et la misère, qui fait surface devant la souffrance renvoyant à la conscience de la mort. Comme elle le disait « c'est le mal qui me fait dire que je vais vers la fin » :

 

Ah ! j'ai eu de la visite, des gens sont venus ici, pour mon sein, ça va bien. Mais, c'est les reins. Pour moi, y a rien à faire avec ça, ça fait trop longtemps que je souffre du mal de reins. Moi, mon premier enfant, je pensais jamais marcher. J'ai marché finalement. J'ai fini par laisser tomber. Ça va faire dix-neuf ans au mois d'avril. J'ai toujours souffert. Là, je pense que c'est la fin. Chez nous y disaient que c'est de l'arthrite, mais ça slaque pas. Ça peut pas être rien que ça... Oui, je me dis si y faut que je reste de même, je veux pas rester de même. Si y faut que je parte, j'aimerais ça le savoir. Parce que la maladie, c'est pas moi qui va la faire revenir, c'est pas le docteur. Pi je le sais ben, c'est à moi de prendre mon courage à deux mains, pi de me réveiller, là je vis avec un peu d'espoir, pi mon espoir est pas gros. ... Ma fille va venir, je lui ai dit, parle si tu vois que je ne suis pas capable de rien dire, je veux tout savoir, je lui ai dit j'espère qu'à nos deux, ça va être possible.

 

À la fin de sa deuxième série de traitements, Yvette Tremblay n'eut toujours pas de réponse à ses questions, qu'elle évitait de poser sans être, je crois, l'unique responsable de la situation. Elle quitta le pavillon pour son domicile avec cette impression persistante que « quelque chose n'avait pas été dit ».

 

Dans le fond, pourquoi qu'ils nous le disent pas ? Pourquoi faut toujours qu'on leur demande, pourquoi qui diraient pas, madame Tremblay..., pi pas avec des grands mots qu'on comprend pas. Si c'est du cancer, pourquoi ça parle pas, y nous posent des questions, pi c'est nous autres qui faut qui réponde sur toute. On a pas le droit de savoir Non, y sont toujours là à me dire ça va aller, pi tout ça, mais demain je veux savoir. Mais, j'ai pas de mémoire, je viens pour poser des questions, pi c'est pire devant le médecin. On trouve pas les mots à dire. C'est un problème de mémoire et d'instruction. 

 

Du sens au silence

 

C'est à son domicile de Coleraine que j'ai revu Yvette Tremblay, au mois de juillet 1983. Coleraine est une petite municipalité près de Thetford, aménagée en périphérie des mines d'amiante. Le premier coup d'oeil est impressionnant : les trous dans le sol et les amoncellements de pierre produisent l'effet de cratères autour desquels des îlots d'habitations humaines se seraient greffés. Rien de plus près de l'image véhiculée par les technocrates de ce que serait une « région ». 

C'est avec beaucoup de chaleur que les Tremblay (Yvette et son époux) me reçurent. Je constatai que le salon avait probablement été récemment transformé en « chambre d'hôpital » puisqu'un lit orthopédique occupait une grande partie de cette pièce. Sur le lit, on remarquait un oreiller épinglé de scapulaires offerts par des religieuses du pavillon. 

Par rapport à la situation qui prévalait en mai, son état de santé empirait de jour en jour ; en raison de ses douleurs encore accentuées, elle éprouvait de la difficulté à s'habiller seule et à marcher, devenait de plus en plus dépendante et pleurait de façon régulière. Elle craignait à ce moment encore plus d'épuiser son entourage et d'être à la longue, abandonnée. On remarquera à quel point les valeurs décrites quant à la vie sont similaires à celles qui sont adoptées face à la maladie, en l'occurrence la résignation et le stoïcisme. 

Je me plains le moins possible, ça va bien que je dis aux enfants et à mon mari quand y s'en aperçoivent. Quand ça fait plus mal, ben je dérange. Comment est‑ce que je vais traîner de temps comme ça, ça fait trois mois, j'ai pas essuyé une assiette encore, au lieu d'en gagner, j'ai du mal plus que jamais, je me dis ça sert à rien, je vais toffer autant que je peux. …On a un lit dans le salon, j'en ai pour une secousse, faut croire que j'en ai besoin. Je voulais le retourner, les enfants ont pas voulu, y pensent pas que je revienne probablement

 

J'ai de la misère à marcher. Je suis pas ben emmanchée. Chu pu capable de rien faire. Mes reins veulent pu porter. Mes filles font le ménage et le dîner. Mon mari fait le souper mais je me dis y ont leur famille, y ont leur mari, je me dis y vont‑tu le faire longtemps, ça fait trois mois déjà... y disent que oui, mais j'aime mieux me priver de parler, faut pas être plaignard, pi parler rien que de maladie… y en a comme ça qui parlent rien que de ça, faut pas en parler rien que de ça, c'est ennuyant, ça va tanner y viendront pu. Ça va les écoeurer. Pi moi, j'ai besoin du monde pour me désennuyer. Quand je suis toute seule, ça me déprime, c'est mortel, l'ennui c'est terrible avec du mal en plus. ... Non, de ça on en parle pas pantoute, d'abord y me guériront pas eux autres.

 

Dans l'espace du non-dit, en tant que règle de survie, « parce que ça pourrait nuire » ou « parce que ça tanne les autres », espace fortement connecté à l'émergence du nouveau rôle du malade [13] désiré autonome et détaché, se creuse et s'approfondit le lieu de l'isolement qui risque de structurer le vécu de la phase terminale, dont on se rend compte qu'elle est, au plan social et culturel, une expérience qui s'enracine et se construit au tout début de la maladie, allant jusqu'à précéder le diagnostic médical. L'imposition d'un interdit sur l'évocation du thème de la maladie, chargé symboliquement de dangers multiples, entraîne au blocage des échanges et à une impasse. 

L'absence d'échange sur le vécu de la maladie fut ainsi confirmé avec son mari qui, par ailleurs, ne lui refusait aucune aide tout en s'abstenant lui-même d'aborder le sujet. Avec son médecin du pavillon, la situation qui avait prévalu en mars se perpétua :

 

C'est sûr qu'ils n'ont pas vraiment trouvé quelque chose en mars, je souffre, ça fait longtemps, ça remonte avant ma maladie, j'avais mal dans le dos depuis trois ans, y disaient que j'avais rien. Au sein, j'ai jamais eu mal, pi depuis que j'ai été opérée, j'ai des maux de tête. Où c'est que je m'en vais ? Là je veux demander au docteur sien contant toute, comme je fais avec vous, si ya moyen de faire quelque chose. Je voudrais savoir d'abord si ça vaut la peine d'appeler le docteur. C'est trop pressé hein, on a pas le temps de parler, pi celui d'ici, mon médecin de famille, y me donne des piqûres pour enlever l'infection, y dit ça va passer, ça enlève un peu de mal, ça m'aide un peu mieux à dormir, ça m'empêche de dormir, ça m'empêche de descendre, mais au téléphone je perds toute. Faudrait qu'une de mes brues appelle. Mais ya rien à faire, ça sert à rien de donner ce trouble‑là, pi moi, voyager au pavillon d'accueil, je ne veux pas. Mon docteur ici, y est là juste pour enlever l'infection, pile mal, cé pas pour me guérir, moi je sais que c'est ça.

 

La conscience de la détérioration progressive de sa condition, malgré le silence généralement observé sur les questions fondamentales qui s'y rattachent, empêcha de plus en plus Yvette Tremblay de maintenir son « moral » et introduisit pernicieusement le doute :

 

Mon moral est pas toujours égal. Des fois, c'est bon ...je suis plus courageuse, je jase, sinon, j'ai la nippe, je parle pas... Le moral aide à se supporter. Ça aide à dormir, mais je me dis, le bon Dieu aurait dû me laisser aller, jamais j'ai arrêté, là je ne suis plus capable.

 

À l'intérieur de l'évolution devenue plus dramatique de sa situation, on remarque une érosion graduelle de l'adhésion à l'idéologie de la survie qui est à la base de la relation thérapeutique en oncologie. Avec l'abandon du moral, se perd aussi l'espoir :

 

Ils m'ont soignée pour ma bosse, mais les reins non... Pi, c'est les reins qui ont empiré. C'est pas les docteurs qui ont mis la maladie dans les reins, c'était là, seulement qu'ils l'ont pas vue. Je souffre vraiment le martyr. Je regrette tellement de m'être fait opérée. Je ne serais pas rendue à ce point‑là. En jouant là-dedans, y ont pas été capables de tout faire mourir ça, pi là, ça s'étend. Si j'avais pas été opérée peut‑être que le mal de reins je l'aurais pareil, mais l'autre affaire peut‑être que ça aurait duré vingt ans encore pi je m'en serais pas aperçue . ... En touchant à ça, ça brise le cours de la nature, ça les réveille, pi ça s'étend, pi là y ont brûlé mais pas assez parce que là y a d'autres bosses qui sortent pi j'ai mal dans le cou pour rien.

 

La perception de l'action médicale, métaphore d'une activité contre‑nature, fait partie structurellement du noeud des croyances populaires parfois liées au cancer en tant que « mal qui ronge » et qui « peut tourner ». 

L'effritement des bases du bon moral et de l'espoir fut remplacé par le sentiment envahissant que plus rien était possible, sentiment souvent masqué par le besoin explicite « d'en savoir plus » et de « connaître si on peut encore faire quelque chose ». Elle craignait d'entendre de la bouche du médecin qu'on ne pouvait plus rien pour elle.

 

Je vois pas d'amélioration, que je meure ou que je revienne avant de faire mourir les autres ! Pour moi, je vais en enfer. C'est pas d'autre chose ! Mais dans le fin fond, je veux pas, qui accepterait ça ? A 80 ans, on accepte même pas la mort ... Dans mon idée, y me semblait que j'avais pu d'affaire au Pavillon. Mon mari me dit que c'est pas vrai, que le médecin m'aurait dit « quand tu seras pu capable de venir, donne un appointement pi viens ». Moi j'ai pensé que c'était vas‑t'en chez vous mourir. Mon mari dit que c'est pas vrai. J'avais un rendez‑vous pour le 7 juin, mais j'étais pas capable. La garde a dit quand elle pourra qu'elle vienne. Mon mari lui a parlé. Elle lui a dit ça, mais moi j'ai dans mon idée qu'ils pensent qu'ils peuvent pu rien faire.... Oui, j'ai dans mon idée, j'ai mal dans les reins, je ne marche plus, j'en ai trop grand d'entrepris, y peuvent pas me donner des traitements dans les cuisses, les poumons, partout, j'ai mal des pieds à la tête.

 

Yvette Tremblay se trouvait dans les faits réceptrice d'un double message, caractéristique de la pratique oncologique lorsque l'évolution de la maladie se fait plus dramatique : entre l'espoir qu'il faut encore maintenir et la fragilité des moyens réels dont on dispose, la voie du paradoxe se tisse, multipliant les bruits dans un système de communication sans cesse perverti. L'optimisme du début de la cure trouve moins d'appui, autant chez les soignés que chez les soignants, face à la mort, moins absente du discours qu'on ne le croirait :

 

Je lui dis à mon mari qu'est-ce que je veux qu'ils fassent si ça arrive. Ça, faut dire ça avant d'être sur un lit d'hôpital. ... J'ai accroché mes médailles de Ste-Anne, j'ai confiance, j'ai la foi, mais je me dis faut toute mourir, c'est ça la volonté. Je remercie quand même le bon Dieu d'avoir élevé mes enfants, pi mon mari lui aussi est à un âge, yé capable, mais lui aussi, y va partir, c'est juste que je voudrais vivre encore ... Je sais qu'il faut mourir, pi je veux pas me laisser aller, me décourager.

 

Sur ce sujet, son mari insiste sur l'effet que produisent chez lui les échanges avec son épouse à propos de sa mort prochaine :

 

On échange, elle me parle assez souvent, comme de la mort, mais ça me fait mal énormément. Je réponds, autant que possible, j'essaye de changer de discours parce que quand elle parle de ça, elle pleure, on pleure, c'est sûr quand on se couche, si je viens qu'à mourir, vas‑tu rester ici ? Vas‑tu te remarier ? Elle m'en parle souvent... Quand j'en parle avec elle, on est seulement tous les deux, j'essaye à pas aller trop loin. Elle va plus loin que moi, seulement que je me fais tellement mal, elle dit qu'est‑ce que tu vas faire si je pars ? Je lui dis on a des enfants. Y a pas de problèmes. J'espère que tu ne te remarieras pas. Je lui dis avec sincérité : la vie d'aujourd'hui, j'ai une bonne femme, je tiens à la garder ; si je la perds, j'ai pas l'intention d'en avoir une autre à l'âge que j'ai, avec les bons enfants que j'ai. Elle me demande de toujours rester ici, même si je veux pas, elle est mal partie... On voudrait bien que notre femme revienne en santé, mais quoi faire ?.. Quand elle est partie de Québec pour ses derniers traitements, elle a posé la question au docteur, en parlant de la chimio, y a penché la tête, a dit, j'ai vu qui a rien à faire. 

Yvette Tremblay était en fait entrée dans la phase palliative. Elle n'aurait plus que des traitements dont les buts seraient de soulager. Elle mourut en novembre 1983, dans le centre hospitalier attenant au pavillon. En août 1985, je rencontrai pour la dernière fois monsieur Tremblay qui me confirma, de par ses propos, l'effritement du discours sur l'espoir et la persistance du modèle explicatif de la maladie chez son épouse et ce, jusqu'à son décès. 

L'espace de la mort s'est peu à peu installé dans la conscience de cette femme et de son mari, avec l'effritement des certitudes et la lente déstructuration du discours propre à l'expérience de la survie. Une analyse permettant de jeter une vue d'ensemble sur ce processus sera l'objet de la prochaine section. 

 

PERSPECTIVE POUR LA CLINIQUE

 

Concernant les préoccupations touchant plus directement la clinique, deux dimensions attireront maintenant notre attention : le statut du savoir médical populaire dans les échanges soignants/soignés et l'aliénation consécutive à l'écart entre le vécu et le discours propre à l'expérience de la survie. 

 

Le statut du savoir médical populaire

 

Au plan anthropologique, on a constaté que le savoir populaire sur la maladie s'est constitué dans un rapport interactif et dialectique entre le vécu passé et présent. À l'expérience de la survie correspond l'auto‑diagnostic de « cancer pris à temps », distinct au plan cognitif du diagnostic « avoir le cancer » associé plutôt à l'expérience de la phase terminale. Cet auto‑diagnostic puisé dans la taxonomie populaire du cancer introduit une distance face à la représentation du cancer comme symbole de mort, caractéristique du discours autrefois prévalant à propos du cancer, des traditions savantes et folkloriques et de l'image que se faisait du cancer cette patiente suite aux contacts qu'elle avait eus par le passé avec d'autres personnes atteintes de cancer. 

Le processus de symbolisation auquel donne lieu l'explication de la maladie « du point de vue du patient », permet d'insérer la place de la maladie en tant qu'expérience de désordre et de rupture, dans une totalité qui donne sens et cohérence à l'expérience de la survie, posée en contiguïté (plutôt qu'en opposition ou en exception) avec d'autres expériences passées. 

À l'explication de la maladie, on intègre certains éléments plutôt stéréotypés quant à l'étiologie (dans ce cas‑ci, la fatalité de la maladie dans la famille), mais on tend aussi à insérer des événements plus personnels propres aux événements de vie de la trajectoire biographique (ici, une fausse couche). Encore une fois, la maladie ainsi perçue se dégage quelque peu de son caractère stéréotypé afin de plutôt s'inscrire dans la série des expériences et situations de stress propres à toute vie humaine. L'explication se structure et se modèle sur le réseau sémantique ou si l'on préfère sur la théorie populaire du cancer. 

Plus qu'un phénomène idiosyncrasique à rattacher à l'unicité d'un itinéraire thérapeutique individuel, il s'agit là plutôt d'un savoir dont le statut demeure collectif, caractérisé par son ouverture sur l'expérience concrète de l'individu et inscrit dans l'ensemble des transformations des discours et des pratiques survenues dans l'espace social, clinique et scientifique. Cette ouverture permet d'effectuer un véritable « travail sur le symbole » au sens de Ricoeur (1975), là où la culture et le vécu se rejoignent et « font sens ».
 

Tableau 1

Le réseau sémantique du cancer

 

Les connaissances en regard du point de vue d'une patiente sur sa propre expérience ont donné accès à des éléments clefs éclairant sa trajectoire. La peur de déranger, le manque d'instruction, la crainte du ridicule ont, entre autres, bloqué la patiente dans la quête des informations qu'elle désirait recevoir sur sa maladie. L'inégalité des rapports sociaux marquant la relation soignant/soigne dans l'espace clinique, le statut problématique du savoir savant en oncologie et la non‑reconnaissance du savoir médical populaire sont des facteurs qui sont intervenus dans ce blocage apparu au début de la maladie de la patiente et qui se sont par la suite maintenus. 

Le tableau 1 permet de visualiser le réseau sémantique du cancer tel qu'il a été repéré dans le discours du groupe des 29 patients auprès de qui un grand nombre d'entrevues a été effectué (cf. note 6). Il synthétise le réseau des relations associatives et explicatives possibles énoncées par ce groupe de patients à propos des causes de leur maladie. II faut comprendre ici qu'il s'agit de grandes catégories établies sur la base d'associations beaucoup plus fines et détaillées que le manque d'espace ne permet pas de discuter ici.  

Tableau 2

Le réseau sémantique personnel de Yvette Tremblay

 

* Les éléments inscrits en caractères majuscules renvoient à l'ordre des causes énoncées par les 29 patients auprès de qui des récits semblables ont été recueillis. Ces causes ont été analysées et regroupées afin de constituer le RÉSEAU SÉMANTIQUE DU CANCER que l'on retrouve au tableau I du présent article. Les éléments inscrits en italique renvoient plutôt aux causes retenues par madame Tremblay.

 

Le tableau 2 permet de visualiser le réseau sémantique personnel de la patiente tel qu'il se particularise par rapport au réseau sémantique du groupe des 29 patients dont elle faisait partie. 

Le réseau sémantique personnel de Yvette Tremblay synthétise son point de vue sur l'explication de sa maladie. Pour elle, l'allaitement protègerait du cancer du sein étant donné que l'allaitement permettrait d'éliminer naturellement toute substance dans le sein qui pourrait s'accumuler et « tourner ». Elle croyait qu'avoir allaité aurait dû « l'immuniser » ; cependant, le fait « qu'il y en avait dans la famille » (plusieurs soeurs et tantes) et qu'il y aurait plus de cancer dans le monde moderne (« on entend parler que de ça ») augmentaient sa vulnérabilité. 

Une fausse couche vécue difficilement et les séquelles qu'elle aurait entraînées ont été les vraies causes de son cancer. Cet événement serait à l'origine de douleurs dites arthritiques dans les « reins » (bas du dos) et dans les aines, selon elle, le site réel de sa maladie, dissocié de son cancer du sein. Cette dissociation se comprend dans l'explication donnée de la maladie et par le rapport fréquemment établi entre douleur et maladie. (Une maladie sans douleur n'est pas une « vraie maladie »). Au plan physiologique, elle craignait de réchauffer ses seins (la chaleur activerait le processus cancérigène, ou mal qui tourne) ; au cours de l'évolution plus dramatique de la maladie, elle douta de l'action de l'intervention chirurgicale sur la tumeur, action jugée anti-naturelle et susceptible là aussi, d'avoir fait tourner « sa bosse » en cancer.

 

Les comportements de Yvette Tremblay furent congruents avec l'explication qu'elle donnait de sa maladie. Elle désirait fortement connaître si elle pouvait laver ses seins et les réchauffer, inquiète alors de l'action nocive de ses activités quotidiennes sur le processus physiologique. Elle hésita à présenter son mal de reins au spécialiste pour les seins étant donné qu'au début, elle ne voyait pas de rapport entre les deux phénomènes ; elle finit par douter de son traitement, blâmant le médecin de ne pas avoir soigné le véritable site de sa maladie (là où la douleur était et là où le site de cette douleur faisait sens avec sa propre explication), allant jusqu'à voir dans l'action de l'activité médicale une raison de l'évolution dramatique de sa condition.

 

L'écart entre le vécu et le discours

 

L'expérience relatée par Yvette Tremblay nous a conduit à observer son vécu en regard de l'évolution de sa maladie. Pendant la période qu'a suivi l'auto-diagnostic, le discours de Yvette Tremblay était celui qu'on a reconnu comme conforme au nouveau discours sur le cancer, tourné vers la survie plutôt que vers la mort.

 

Ce discours s'est accompagné des tactiques typiques à cette période, regroupées sous le principe de discrétion nécessaire. Ce principe suggère, comme on le sait, la plus grande réserve face « aux choses de la maladie », de façon cohérente avec la valorisation, dans l'espace social, des attitudes de stoïcisme et de combativité.

 

Ce discours et ces tactiques se construisent également en interaction avec ceux des soignants avec lesquels ils sont parfaitement compatibles, le maintien du moral s'articulant au maintien de l'espoir. Toutefois, dès le début de sa maladie, la patiente ressentait plusieurs malaises et se disait très anxieuse devant la peur du futur et l'impression persistante « que quelque chose n'avait pas été dit » et ce, malgré qu'elle se déclarait non‑malade (cependant avec une teinte d'ambiguïté).

 

Entre l'optimisme du discours renforcé par celui des soignants et des soignés puis de l'entourage (ainsi que valorisé culturellement), et le vécu marqué par l'inconfort de la chronicité et l'anxiété produite par la tension entre le besoin d'informations et l'idéal normatif du non‑dit, on observe donc une certaine dichotomie. Cette dichotomie est celle qui s'installe entre la culture productrice d'idéologie et de normes et le quotidien de l'expérience. 

Avec l'évolution de la maladie, on nota que le fossé entre le discours et l'expérience se creusa davantage. Maintenir le moral et l'espoir devint de plus en plus une tâche contradictoire avec la réalité vécue : la souffrance physique et psychologique, la crainte de la mort et l'aliénation consécutive à l'impression qu'on ne la soignait pas pour le mal qu'elle avait, voire qu'il y avait peut‑être eu erreur. L'isolement socio‑affectif se fit de plus en plus intense. On assista à l'effritement progressif des bases du nouveau discours sur le cancer essentiel à la relation thérapeutique en oncologie, et ce, au fur et à mesure que la conscience de la mort se fit grandissante. 

En regard de la tactique du non‑dit, on a observé certaines modifications quant au contenu des informations qui étaient désirées mais non explicitement recherchées. Au début de la maladie, elle voulait savoir si « elle pouvait réchauffer ses seins » et si elle pouvait effectuer son travail comme à l'habitude. Par la suite, elle voulait des informations sur sa maladie, déroutée par ses douleurs aux reins alors qu'on l'avait soignée pour un sein. La simplicité apparente des questions initiales renvoyait toutefois, au tout début, au pronostic et au mode de vie qui assurerait une protection devant une possible récidive. Cette question du pronostic demeura entière tout au long des entrevues réalisées avec elle et son conjoint. On a remarqué ainsi que le passage de la phase curative à la phase palliative s'est opéré non sans difficulté étant donné l'efficacité de moins en moins grande du discours propre à l'expérience de la survie, laissant ainsi vide et angoisse, puis le maintien de tactiques en accord avec l'idéal du stoïcisme et de l'auto‑dépassement, plutôt pernicieuses et contradictoires avec l'effet croissant de l'incertitude sur le vécu de la maladie.

 

La pertinence d'une anthropologie médicale clinique

 

Le statut du savoir médical populaire est, comme on le sait, à peu près inexistant en clinique moderne, d'autant plus en oncologie, lieu par excellence de la technologie bio-médicale et du règne des experts. Pourtant, ce savoir est intimement lié à l'expérience de la maladie, ou si l'on préfère, à la maladie telle que vécue et perçue par le patient. Dans la mesure où une telle expérience est socialement et culturellement construite, elle s'appuie sur des connaissances en lien et en médiation avec l'environnement. Le langage, lieu d'accès par excellence à ce savoir, transporte avec lui les modèles cognitifs et symboliques utilisés et remodelés sans cesse par les individus. Ces modèles cognitifs et symboliques sont accessibles dans le vocabulaire des patients lorsqu'ils parlent de leur maladie et dans le sens qu'ils donnent à leur expérience. Bien que ce savoir soit conflictuel avec le savoir officiel savant, selon « le conflit des interprétations » caractéristique de l'espace clinique, ce dernier a toute chance de s'inscrire plus près du vécu et de faire corps et sens avec lui. Le nier, c'est accepter le maintien d'une communication en trompe-l'oeil, où l'on joue à se comprendre, alors que le sens circule de haut en bas et unilatéralement de soignant à soigné, sans même que l'on puisse être sûr de l'issue du message. Dans le récit ici analysé, on aurait certainement pu mieux comprendre plusieurs comportements, si on avait connu les données du réseau sémantique et du rapport plus général à la maladie. 

On aurait compris, par exemple, pourquoi Yvette Tremblay avait omis de parler à son médecin de son mal de reins (et éviter les réprimandes culpabilisantes). On aurait aussi informé plus facilement cette patiente de l'effet non nocif de la chaleur et de l'activité sur ses seins (et évité en partie l'anxiété suscitée par la peur de la récidive). Enfin, l'importance de l'explication populaire dans le processus de symbolisation parce qu'elle permet d'intégrer l'expérience du cancer de façon satisfaisante étant donné le besoin de cohérence face à la rupture d'ordre qu'est la maladie, devrait être acceptée. Une telle intégration facilite, au niveau de l'imaginaire, le travail de distanciation face à l'image du cancer comme symbole de mort et face à la multiplicité quelque peu affolante des explications en circulation dans l'espace social. Les explications reconnues sont, de toute manière, également retenues et reconnues dans l'élaboration de l'explication. 

L'écart entre le discours et le vécu nous ramène au problème de l'aliénation dans l'expérience de la maladie. Face aux contradictions de l'existence et face aux normes instituées et traduites par les discours, valeurs et tactiques, se construit l'espace de la solitude. Le vide laissé par une idéologie de plus en plus détachée du vécu, le passage silencieux de la phase curative à la phase palliative rappellent l'importance d'une réflexion encore trop timide sur l'expérience du cancer comme expérience globale et continue. L'actuelle réflexion sur les soins palliatifs a fait reconnaître heureusement des concepts tels que ceux d'approche globale du mourant, de douleur totale et autres. Toutefois, sans doute est‑il tard pour se pencher sur l'individu et sur les aspects psychosociaux de son expérience uniquement une fois arrivée la phase terminale. L'aliénation du mourant, constatée et décrite par tant d'auteurs, est un processus qui s'enracine et se structure dès le début de la maladie, comme on a pu le voir (Saillant, 1984). Du point de vue des soignants, le maintien de l'espoir et d'un optimisme parfois artificiel ont pour effet de creuser plus profondément le fossé entre le discours et le vécu, et bien évidemment, ses conséquences. Le maintien d'une attitude de discrétion face au pronostic, la banalisation de questions d'allure anodine mais significatives pour le patient sont des phénomènes susceptibles de générer, à la longue, anxiété et angoisse.

 

Remerciements

 

L'auteure tient à remercier les professeurs Margaret Lock, Gilles Bibeau, Lee Drummond et Louis Dionne pour leur contribution respective à la présente réflexion. 

 

RÉFÉRENCES

 

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SUMMARY

 

The following report presents and analyzes the life story of a person suffering from cancer. The study consists of one of the areas examined in the course of a recent research that deals with the cultural aspects of cancer subjects in Quebec, using the clinical angle of medical anthropology. Material discussed here suggests an integration of the main analytical approaches that have been used throughout this project


*    L'auteure, PhD., est anthropologue et enseigne à l'École des sciences infirmières, Université Laval. Elle est également membre du Centre de recherches sur les services communautaires de la même université.

[1]    Ceci étant bien sûr te reflet de la prévalence plus importante des maladies chroniques par rapport aux maladies infectieuses dans les sociétés modernes et hyper‑industrialisées (McKeown, 1981).

[2]    Les écrits de Renée Fox, sociologue de la santé d'orientation fonctionnaliste, nous ont familiarisé à cette question de l'incertitude des connaissances médicales dans les domaines de pointe, à partir de données sur les cliniques de dialyse (cf. par exemple Fox, 1979).

[3]    Mentionnons toutefois que le récit de vie Abel (1977) constituait l'une des trois célèbres monographies des sociologues Glaser et Strauss (1965) (1968) portant sur le contexte du mourir en milieu hospitalier américain et peut être considéré comme une (sinon la) première tentative d'opérer le passage « des structures au vécu ».

[4]    Cette étude a été rendue possible grâce aux fonds de CRSH, de la FCAC et du CSS de Québec. II s'agit d'une thèse de doctorat en anthropologie (Les aspects culturels de l'expérience tés cancer en contexte clinique moderne, Montréal, McGill University, 628 pages). La thèse est disponible an coût de 15.50$ via le Centre de services sociaux de Québec via le centre de documentation (540, boul. Charest est, Québec (Québec), G1K 8L1).

[5]    La population résidente était obligatoirement composée d'individus en phase curative et pour qui il y avait, en principe, « espoir de guérison ». II ne faut donc pas confondre un tel milieu avec une unité de soins palliatifs.

[6]    La cueillette des données a été effectuée au moyen de l'observation participante (1 an) et de l'entrevue semi‑structurée (N = 202). Au total, 47 intervenants (médecins, infirmières, techniciens...) et 29 patients ont été rencontrés pour fins d'entrevue. On comptait parmi tes patients, 13 hommes et 16 femmes de niveau socio‑économique modeste et dont la moyenne d'âge était de 57 ans. L'analyse des données a été effectuée à l'aide des techniques d'analyse de contenu, d'analyse de réseaux sémantiques et d'analyse des récits de vie.

[7]    On retrouvera dans Santé Culture Health (Saillant, 1987), une discussion synthétique de ces trois mêmes hypothèses.

[8]    En oncologie, une personne est considérée guérie si elle survit cinq ans après son diagnostic. Un survivant possible est donc une personne portant un diagnostic de cancer et pour qui il y a « espoir de guérison ».

[9]    Par exemple, tes résultats de l'analyse du discours mass médiatique porté sur Terry Fox, « le coureur de l'espoir », unijambiste atteint de cancer ayant traversé à la course une partie du territoire canadien dans le but d'amasser des fonds pour la recherche sur le cancer an profit de la Société canadienne du cancer, auront permis d'avancer une telle hypothèse.

[10]   Le savoir populaire médical a été investigué surtout au moyen d'une analyse de réseau sémantique jumelée à une analyse des récits de vie des 29 personnes atteintes de cancer qui ont accepté de participer à ce travail.

[11]   La méthodologie des récits de vie a été empruntée principalement à celle décrite par Bertaux (1983) qui établit une distinction entre histoire de vie et récit de vie. Dans l'histoire de vie, on cherche à saisir la totalité de l'existence de la personne tandis que dans le récit de vie, l'exploration approfondie d'un thème (par exemple une trajectoire professionnelle) pourra être suffisante. Pour une description détaillée de la méthode des récits de vie, voir Bertaux (1983) et Poirier (1983). Le récit de Yvette Tremblay est généralement typique de celai des autres soignés que j'ai rencontrés surtout en ce qui concerne la structure sous-jacente à son discours et à son savoir sur son expérience. Par ailleurs, la volubilité et la facilité de contact de cette femme ont favorisé la clarté et l'accessibilité rapide à la compréhension du récit, ce qui lui donne une valeur certaine. Deux éléments distinguent cependant ce récit de l'ensemble des autres que j'ai recueillis. Il s'agit d'abord d'une personne dont la maladie évolua plutôt rapidement vers la phase terminale, contrairement aux autres patients qui furent interviewés. II s'agit aussi d'une personne dont le récit permet d'établir une relation claire entre le sens donné à la maladie et les comportements effectifs, relation que je n'ai pu établir de façon aussi évidente dans chaque récit

[12]   Chez les soignés, le principe de discrétion nécessaire correspond à une attitude de réserve obligée face à l'ensemble de l'entourage par rapport aux choses de la maladie. Chez les soignants, un principe équivalent est celui de l'évitement du thème du pronostic dans la communication avec les soignés. Ces principes peuvent être considérés en contexte clinique comme les stratégies clefs qui s'articulent à l'idéologie de la survie et aux thèmes de l'espoir et du moral.

[13]   Le nouveau rôle du malade est à associer avec la condition de malade chronique dans tes institutions de santé, lequel exige l'autonomie plutôt que la passivité. Pour une critique du concept parsonien du rôle de malade et une définition du nouveau rôle de malade, cf. Alexander (1982).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 31 mai 2008 18:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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